Abdoullah Coulibaly : "Le Forum de Bamako est une force de propositions pour l'Afrique"

Abdoullah Coulibaly :

Abdoullah Coulibaly, fondateur du Forum de Bamako et président fondateur de l'Institut des Hautes Etudes en Management (IHEM)


Président fondateur de l'Institut des Hautes Etudes en Management (IHEM), dont la réputation de sérieux et de réussite n'est plus à faire, Abdoullah Coulibaly est également le fondateur du Forum de Bamako, qui vient de tenir sa 18ème édition dans la capitale malienne. Pour L'Afrique Aujourd'hui, il en tire ici un premier bilan.

Propos recueillis par Bruno Fanucchi, envoyé spécial à Bamako

La 18ème édition du Forum de Bamako (qui vient de se tenir du 21 au 25 février 2018) s'est ouverte par la projection – en avant-première – de « Timbuktu », le film très fort du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, primé au Festival de Cannes en mai 2014 et projeté pour la première fois à Bamako au grand cinéma Babemba.  Une grande première plus que symbolique ?

Abdoullah Coulibaly : 

C’était important pour nous de planter le décor à travers ce film pour savoir où tout a commencé, même si les images pouvaient choquer, même si certaines parties du film pouvaient amener des quiproquos, mais l’essentiel était là. En tant que Maliens, c’était important pour nous de réparer une sorte de maladresse car Abderrahmane Sissako, le réalisateur, était très frustré de voir que son film n’avait jamais été projeté au Mali alors que son père est Malien, c’est sa mère qui est Mauritanienne. On l’a promis, on l’a fait. Ce qui est intéressant, c’est de voir que ce film a préparé les esprits à la suite du Forum avec beaucoup d’émotion et même des larmes dans la salle. Cela a permis de préparer le sujet de cette 18ème édition : pourquoi plus jamais cela ? Et que faire pour que les choses changent ?

Le Forum était consacré cette année à l'aménagement du territoire de l’espace sahélo-sahélien. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Ce choix, c’était pour expliquer que la solution à la crise malienne, et plus généralement à la crise du Sahel, ne pouvait pas être que militaire. La crise malienne a essentiellement pour origine les difficultés de vie de la population. Et le malaise que vit cette population a pour cause la mal gouvernance. Car on peut être pauvre, mais vivre dignement quand il y a la justice dans le pays. Mais quand il y a l’injustice, on n’accepte même pas de vivre dans l’opulence et, à plus forte raison, dans la misère ou la détresse alimentaire. Pour nous, il était donc temps de nous réunir pour créer les conditions et donner des perspectives à cette population. D’où la thématique de l’aménagement du territoire comme facteur de sécurité, de paix et de développement.

Chaque année, vous débattez sur des thèmes qui se retrouvent au cœur de l’actualité. Quel est votre secret ?

Si secret il y a, c’est l’esprit d’équipe parce que le Forum rassemble des gens de différents horizons, de différentes cultures, de différentes religions, de différentes couleurs, mais unis autour d’un seul objectif : le bonheur de l’humanité. Quand on demande à tous ces gens et personnalités « Qu’est-ce qui est bien pour le futur ? », on s’enrichit. Quand on termine un forum, on commence aussitôt à demander à tous les membres du Forum de Bamako : « Pour vous, que doit-on traiter comme sujet l’année prochaine ? ». C’est cette dynamique qui marche et nous a amené à ce sujet. C’est un Français et je lui rends hommage, Jean-louis Guigou, qui le premier nous a parlé de l’aménagement du territoire et ce thème s’est imposé. Le secret, c’est le métissage des cultures et des compétences.

On qualifie souvent le Forum de Bamako, dont vous êtes le fondateur et qui vient de fêter avec cette 18ème édition sa majorité, de « petit Davos africain » parce qu’on y croise toujours des personnalités de premier plan... Que dire du cru 2018 ?

Très sincèrement, nous avons été nous-mêmes agréablement surpris par la qualité des gens qui y sont venus, des hommes et des femmes d’une qualité exceptionnelle. Je ne vais pas me mettre à les énumérer ici. Mais la majorité de toutes ces personnalités savent parfaitement que notre idéal est d’aider d’une manière désintéressée à bâtir un monde meilleur.

Des débats animés ont eu lieu notamment sur la compétitivité et la productivité des villes alors que l'urbanisation de l'Afrique était déjà le thème central du Forum de l'an passé...

C’est une très bonne question. On a traité l’an dernier de l’urbanisation, mais le sujet est vaste car tout le monde sait que l’Afrique est confrontée à une urbanisation galopante avec ses conséquences parfois désastreuses que sont la problématique des déchets et des ordures, la pollution, la criminalité, etc. L’idée de base, c’est de prendre un point précis dans le phénomène de l’urbanisation qui va permettre de rendre la ville productive. Comment faire pour que les gens qui habitent dans une cité puissent y trouver leur compte. C’est la problématique par exemple de la mobilité urbaine

Dans beaucoup de nos pays, les villes s‘étendent en largeur et cette extension des villes a des conséquences néfastes car les gens font des kilomètres pour aller travailler. Il faut donc réfléchir pour savoir comment on peut faire pour que nos villes se développent plutôt en hauteur pour diminuer les temps de transport et les coûts de production. Si une ville est bien aménagée, les gens ont leur logement à proximité de leur lieu de travail. Nous avons décidé cette année avec la Banque mondiale de prendre un cas précis – l’aménagement du territoire -  pour donner des perspectives à la population. L’économie, c’est l’intensification du flux des échanges, c’est ce maillage nécessaire pour relier les villes du Sahara entre elles. Parce que les villes africaines ou les pays africains communiquent plus avec l’extérieur qu’entre eux. Partir de Bamako à Paris, c’est plus facile que d’aller de Bamako à Niamey ou à Lomé. Alors que si l’on arrivait à créer une dynamique économique, on intensifie les échanges. C’est la même chose pour les villes d’un même pays avec la nécessité de relier les producteurs aux consommateurs.

La Banque mondiale a compris l’année dernière que ce Forum était très important et lui permettait d’aller au cœur des besoins des populations. C’est l’occasion pour moi de saluer la Banque mondiale qui nous a envoyé cette année trois missions pour préparer sa participation à cette 18ème édition.

Ce Forum, qui s'est achevé par une grande réception donnée par le président Ibrahim Boubacar Keita au Palais de Koulouba, est un lieu unique de rencontres et de « métissage des cultures » comme vous venez de le rappeler. N'est-il pas aussi un extraordinaire cadre pour s'intéresser à l'avenir du continent et de la jeunesse africaine ? Une véritable force de propositions pour relever les défis auxquels l'Afrique est aujourd’hui confrontée ?

Chaque année depuis 18 ans, effectivement, les responsables et notamment le chef de l’Etat nous font l’honneur d’accueillir les représentants du Forum de Bamako qui vont lui remettre les actes du Forum, les conclusions et les recommandations. Pour vous dire la vérité, on nous le reproche souvent et l’on fait beaucoup de réflexions du genre : « A quoi ça sert ? » Mais j’explique à tous que nous ne sommes ni un gouvernement exécutif, ni un Parlement pour légiférer, mais une force de propositions. Nous remettons des documents avec des idées nouvelles aux décideurs et c’est à eux de voir ce qui les intéresse. Des ministres de différents pays sont venus nous consulter ou nous ont appelé sur des sujets comme les privatisations ou l'éducation en Afrique, des sujets que l’on a traité, pour prendre nos conclusions et recommandations.

Nous n’avons pas la prétention d’avoir la science infuse, nous ne sommes qu’une force de propositions, mais nous pensons que, si chacun contribue ainsi à l’avenir de l’Afrique, on peut faire utilement avancer les choses C’est pourquoi nous saluons la disponibilité des autorités, à commencer par le Président de la République qui est rentré de Bruxelles et a trouvé le temps de rencontrer nos invités pour avoir leur feedback et donner son point de vue sur la thématique.

Retrouver l’intégralité de cette interview (réalisée en partenariat avec New World TV) sur le site de la chaîne : www.newworldtv.com

Bruno Fanucchi

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