Mokhtar Zannad, PDG de Nielsen, prône "l’innovation inversée"

Mokhtar Zannad, PDG de Nielsen, prône

Mokhtar Zannad, PDG de Nielsen Recycling Solutions


Bâtir de nouvelles relations économiques Sud-Nord, c'est le défi que s'est fixé le Tunisien Mokhtar Zannad pour réussir à commercialiser dans les pays du Nord de la Méditerranée des produits conçus et développés au Sud. Son entreprise, Nielsen Recycling Solutions, le fait avec succès depuis l'an 2000. Rencontre avec un patron qui ne cesse d'innover.

Vous avez dit… « reverse innovation » ? Mokhtar Zannad, chef d’entreprise tunisien de renommée internationale et ingénieur de formation (École Centrale, Paris), affiche la simplicité de ceux habitués à penser clairement. Pour lui, la « reverse innovation », c’est bien sûr « l’innovation inversée  ». Et il avoue, en faisant presque mine de s’excuser que, mais oui, mais oui bien sûr, comme le Monsieur Jourdain de Molière faisait de la prose sans le savoir lui, Mokhtar Zannad, PDG de Nielsen Recycling Solutions, florissante entreprise intercontinentale qu’il a fondée en l’an 2000, pratique «  l’innovation inversée  » depuis bien des années…

Ainsi, « les innovations inversées sont celles faites dans le Sud pour être aussi commercialisables dans le Nord », nous dit-il simplement, en cette matinée froide de la mi-février où il est venu jusqu’à Paris pour participer au lancement médiatique du Club The Next Society (voir ci-dessous les liens vers nos articles sur cet événement), piloté par Anima Investment Network, en partenariat avec Bpifrance et GreenFlex.

Et si l’innovation inversée commence maintenant à être mise en avant, comme d’ailleurs la coproduction, il y a belle lurette que Mokhtar Zannad est allé bien au-delà des mots, passant à la preuve (de concept) bien concrète et plus de cent fois répliquée. 
Un exemple parmi bien d’autres est celui de son « compacteur 5 en 1 ». Une machine totalement fabriquée en Tunisie par l’entreprise de Mokhtar Zannad, qui raconte : « Un jour, au salon Pollutec de Lyon, qui est le plus grand au monde de son secteur [équipement, technologies et services dédiés à l’environnement, ndlr], je fais la rencontre fortuite d’un grand équipementier français, qui produit des lignes d’outillage complètes pour le traitement des déchets dangereux – ce qu’on appelle les DASRI, les déchets d’activités sanitaires à risque infectieux, issus principalement des hôpitaux.
Je lui présente notre presse universelle, notre compacteur 5 en 1, il me répond ”C’est exactement ce qui nous manque, il me la faut…”.
Voilà, depuis nous en avons vendu des centaines, nous sommes notamment leader en Afrique avec 650 installations dans 14 pays. Il faut dire qu’elle ne coûte presque rien. Nous parlons d’une gamme qui commence à 2 500 euros, c’est un créneau qui n’intéresse pas les géants du secteur ! Eux, pour une machine qui ferait exactement le même travail, ils devraient vendre à au moins 25 000 euros pour commencer à “être dans les clous” ! »

Abondance d'ingénieurs et connaissance des cultures africaines, deux points forts tunisiens

Cet exemple illustre bien pourquoi les prestataires du Nord peuvent être obligés de commercialiser des produits développés dans le Sud. La raison en est toute simple : ils sont énormément moins chers !

Pourquoi ? « La Tunisie est aujourd’hui le seul pays au monde où le salaire en euros de l’ingénieur baisse… C’est malheureux, relève Mokhtar Zannad, car les salariés sont payés en monnaie locale et finalement, d’année en année, depuis trois ans, on observe en effet que le salaire des ingénieurs augmente légèrement en dinars, mais il baisse en euros. Notre monnaie a perdu 22 % en une année… Mais du coup, cette jeunesse qui invente, qui crée des choses simples, robustes, adaptées, et qui ne coûtent pas cher, c’est maintenant notre point fort pour rebondir ! »

La connaissance des cultures locales africaines et des réalités du terrain est un autre atout des entrepreneurs tunisiens, souligne Mokhtar Zannad. Il élargit ainsi son propos mais là encore, le succès du compacteur 5 en 1 est cité en exemple pour expliquer très concrètement certaines réalités des écosystèmes africains : « Notre compacteur est parfois plus cher que ceux de certains concurrents, et pourtant on en vend en Afrique, au Tchad, au Mali et ailleurs… Notre choix a été d’incorporer à la presse une grosse armoire électrique autonome. C’est pourquoi elle est plus chère à l’achat. Mais il faut savoir qu’il peut y avoir jusqu’à six ou sept coupures d’électricité par jour à Bamako, par exemple, et donc, dès la première coupure électrique, la carte mémoire classique de nos concurrents peut griller. Il faut alors en importer une de remplacement, ce qui coûte 350 euros rien qu’en frais de déplacement par coursier international.
Alors moi, j’ai fait le choix dès le départ d’installer une armoire électrique autonome, une Schneider… Eh oui, cela coûte plus cher, mais c’est pour la vie ! Disons quinze à vingt ans… »
 – CQFD !

Un rôle d’initiateur par des petits projets…
qui deviennent grands !

C’est sur ce type de problématique que « certains Européens n’ont pas le déclic,explique encore Mokhtar Zannad. Il est plus facile pour nous Tunisiens de comprendre l’Afrique, nous en faisons partie. Nous savons parler aux Libanais chiites, sunnites ou maronites qui vivent à Abidjan, comme aux Togolais, aux Sénégalais et à tous les autres Africains, y compris d’ailleurs aux Français vivant dans ces pays. Nous pouvons assumer ce rôle de diplomate généraliste, car nous sommes multiculturels. Nous, Tunisiens, bénéficions de la proximité culturelle, et sans le passif colonial qui reste une pastille amère que certains ruminent encore. Alors, allons-y ! Avançons ensemble ! »

Pourquoi, comment ? « Le commercial c’est nous, nous sommes appréciés en Afrique. Vous, Européens, vous avez la technologie et nous, ce que nous faisons concrètement aujourd’hui, c’est d’amorcer des petits projets.
Par exemple, inciter quatre ou cinq chiffonniers d’Abidjan à s’associer pour commencer à collecter des déchets de bouteilles qui traînent dans la lagune, ou des canettes dans les égouts de Bamako… On leur explique qu’ils ont là un gisement valorisable, qu’une simple machine fabriquée en Tunisie, et qui ne coûte que 4 000 euros leur permettrait de compacter et de remplir un conteneur exportable en Europe ou en Chine à des entreprises qui font du recyclage ».

Et ce que nous raconte Mokhtar Zannad n’est plus une hypothèse d’école, mais déjà une histoire vraie : la filière a démarré, donnant lieu quelques années plus tard à des centres de tri, à de la cogénération avec des déchets ménagers, à de la production de biogaz… « On est là dans de la très haute technologie, et c’est là que l’Européen intervient », relève Mokhtar Zannad.

En revanche, quand un prospect africain lui dit qu’il est en compétition avec une offre concurrente européenne, Mokhtar Zannad réplique volontiers : « Ça tombe bien, ce sont aussi mes clients… Et si un Tunisien réussit à vendre en France et ailleurs en Europe, c’est peut-être qu’on est un petit peu mieux que pas si mauvais ! » s’amuse-t-il à commenter.
En fait, Mokhtar Zannad se projette totalement dans l’idée de la triangulation
de la coproduction Afrique-Méditerranée-Europe, concept que s’efforce de promouvoir l’Ipemed… « Oui, je pense que c’est exactement la bonne approche ! Je partage cette idée que le Maghreb peut devenir le Mexique de l’Europe, en tout cas du Sud » se réjouit-il.

Alfred Mignot, AfricaPresse.Paris

Source :

Par Pays

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