Moustapha Cissé Lô : "Que les Africains prennent enfin leur destin en main"

Moustapha Cissé Lô :

Président du Parlement de la CEDEAO et 1er Vice-Président de l'Assemblée nationale du Sénégal, Moustapha Cissé Lô est connu pour son franc-parler. Au Forum de Dakhla consacré à la coopération Sud-Sud, il a salué la volonté du Roi Mohamed VI et du Maroc d'intégrer la CEDEAO « pour que l'Afrique de l'Ouest de demain ne soit plus marginalisée, mais devienne une locomotive pour l'Afrique ». Interview.

Propos recueillis à Dakhla par Bruno Fanucchi

A l'occasion de la 4ème édition du Forum, qui vient de se tenir à Dakhla du 15 au 20 mars, vous avez reçu le prix Crans Montana, que représente pour vous cette récompense ?

Moustapha Cissé Lô 

Je suis vraiment comblé et très content, mais je prends ce prix avec beaucoup de philosophie car je perçois ce prix comme un signe d'encouragement. Nous avons engagé une bataille sur l'intégration, sur la coopération Sud-Sud et Nord-Sud. Nous développons une politique de diplomatie parlementaire, mais une politique agressive allant dans le sens des pouvoirs publics de nos Etats visant à se départir des égoïsmes nationaux et à engager la bataille du développement par l'intégration des peuples, la libéralisation du système des échanges et un marché commun. C'est cette force de frappe que nous avons et que les précurseurs de cette CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) avaient vu depuis 1975 pour créer cette communauté pour un même destin, que nous avons la charge de prendre pour accélérer ce processus d'intégration. Depuis 2 ans, nous sommes à la tête de ce Parlement et travaillons à son rayonnement et à sa visibilité. Et cela a commencé à prendre forme. Nous sommes partout dans le monde et répondons partout où de besoin pour imprimer une nouvelle dynamique et donner corps à notre vision qui est d'avoir une CEDEAO des peuples, où les 350 millions d'habitants sont représentés et les parlementaires parlent au nom des peuples et non au nom des Etats.

Après avoir rejoint l'Union Africaine, le Maroc veut intégrer la CEDEAO, quels sont pour vous les enjeux et les défis de cette candidature du Royaume chérifien ?

Nous encourageons Sa Majesté le Roi Mohamed VI d'avoir ce courage de réintégrer sa famille naturelle, mais aussi d'avoir une approche inclusive, c'est-à-dire de demander son adhésion à la CEDEAO. Vous n'ignorez pas que le Maroc constitue une zone de transit entre le nord et le sud. C'est fondamental. Nous avons donc des accords de coopération dans nos pays avec le Maroc qui ne datent pas d'aujourd'hui. Interrogeons l'Histoire. Si Sa Majesté a vu juste et a demandé d'intégrer pour entrer dans un marché plus vaste et plus puissant, c'est de bonne guerre. C'est la raison pour laquelle nous, en tant que réprésentants des peuples, nous ne pouvons qu'applaudir et encourager cette initiative heureuse. Ce ne sont pas les députés qui vont décider de l'entrée ou non du Maroc au sein de la CEDEAO, mais nous avons notre mot à dire. Il appartient aux chefs d'Etat de donner corps à cette demande de Sa Majesté et d'y répondre favorablement ou défavorablement. Je pense objectivement qu'en l'état actuel les chefs d'Etat ont déjà donné un avis favorable pour l'entrée du Maroc au sein de la CEDEAO. Mais il y a des lois et règlements qui corroborent la position des chefs d'Etat. C'est en cours de négociations et nous espérons que cela aboutisse dans le bon sens souhaité par les populations. Parce que les peuples de l'Afrique de l'Ouest et du Maroc ont déjà un passé et ont eu une histoire commune.

"Il faut développer une politique

d'autosuffisance partout en Afrique"

Comme le soulignait l'an passé le président Macron, un défi démographique se pose à toute l'Afrique, et notamment aux pays de la CEDEAO, comment pouvez-vous y faire face ?

Nous faisons ce que nous pouvons faire. C'est une réalité qui est là et, comme l'a dit le président Macron, c'est bien réalité. Nous comprenons ce qui se passe aujourd'hui, mais que faut-il faire ? Pour y faire face, il faut que l'on soit ensemble. C'est la raison pour laquelle nous pensons bâtir une force économique qui soit dynamique pour faire face à tous ces défis et ces enjeux. Aujourd'hui, il s'agit d'une démographie galopante qui ne dit pas son nom. Mais le Nord a compris qu'en s'isolant de l'Afrique, en mettant des barrières pour que les peuples d'Afrique n'entrent pas sur le Vieux Continent, ils vont créer encore plus de problèmes. Il faut accompagner ces peuples et être à leurs côtés pour trouver les meilleures solutions et les moyens de régler ces crises cycliques qui sévissent dans le monde.

Quelles sont ces solutions puisqu'entre l'Afrique et l'Europe, comme l'ont rappelé plusieurs intervenants au Forum, nos destins sont liés,  ?

Les solutions sont là. Il nous faut créer un développement durable et humain, et développer les infrastructures. Il nous faut aussi nous approprier ce que nous avons et ce que les autres continents n'ont pas : des terres arables, du soleil, la pluie, des cours d'eau comme le fleuve Sénégal avec beaucoup de poissons, sans parler de l'élevage. Il faut développer une politique d'autosuffisance partout en Afrique avec une agriculture pour nourrir les populations et même exporter hors d'Afrique. Nous n'avons pas de problème. Je pense qu'il faut beaucoup plus de politique de développement que de littérature. Il faut galvaniser les peuples pour travailler dans ce sens.

Ce qui veut dire peut-être, pour parler crûment, que les Africains se mettent au travail et prennent leur destin en main...

Absolument, c'est cela qu'il faut faire. Il faut que nous prenions enfin notre destin en main, même si nous avons toujours besoin d'un certain appui et de l'aide internationale. Car il nous manque quelque chose : le développement humain, c'est fondamental, nous sommes en retard sur d'autres continents, nous sommes en retard sur la Chine, sur la Malaisie ou sur ce qui se passe en Europe. Nous avons besoin de tout cela pour développer notre continent.

Un problème se pose aujourd'hui au sein de la CEDEAO, celui du Franc CFA, qu'en pensez-vous ?

Oui, mais nous allons vers la monnaie unique à l'horizon 2020. C'est une décision des chefs d'Etat. On ne peut pas enlever cette épine du pied comme cela. Il y a des problèmes, vous savez, qui sont nés de la colonisation, mais nous progressons. Il faut nous laisser travailler dans ce sens. Nous avons trouvé des plages de convergence au niveau de la CEDEAO et de l'UEMOA. Nous avons huit monnaies déjà et il nous faut arriver à l'harmonisation de nos politiques macro-économiques pour trouver une solution durable et mettre en place une monnaie forte. Nous sommes en train de travailler avec l'UEMOA pour aller vers la monnaie unique. Je pense et je souhaite même que ce soit en 2020 qu'on puisse trouver cela et démarrer ce processus.

"Nous allons nous battre pour

que ce Parlement puisse légiférer"

On a cependant l'impression que votre Parlement n'a pas de vrais pouvoirs...

Non, vous ne pouvez pas le dire. Nous avons le Parlement sous-régional le plus performant, un Parlement à l'image du Parlement européen. Nous sommes le seul Parlement, avec le le Parlement de l'Afrique de l'Est, qui peut discuter avec l'exécutif sur des questions brûlantes. Nous connaissons maintenant le budget de notre Communauté sur lequel nous avons désormais voix au chapitre et notre mot à dire. Car le budget passe forcément par le Parlement. Nous répondons au Comité de sécurité et de médiation, cela n'existait pas auparavant. Il y a donc des avancées : le Parlement est devenu un Parlement connu par les populations et connu dans le monde. Notre Parlement fait son chemin et il faut prier pour nous afin que nous puissions achever le travail que nous avons entrepris. C'est un long processus. Ce Parlement est né en 1993, la mise en œuvre de sa première législature en 2000, nous sommes à la quatrième législature avec des avancées significatives, dont nous devons nous féliciter. Quel est le problème ? Qu'est-ce que vous voulez : qu'on ait un Parlement qui légifère ? Ce n'est pas pour aujourd'hui car, dans le traité, il a été écrit noir sur blanc que ce Parlement restera consultatif jusqu'à ce que les députés soient élus au suffrage universel direct. Elire 5, 7 ou 35 députés avec des milliards, ce n'est pas pour aujourd'hui.

Nous avons engagé cette bataille et avons acquis des prérogatives. Nous allons nous battre pour que ce Parlement puisse légiférer dans l'état dans lequel il se trouve. Ce sont des textes qu'il faut modifier parce que nous tirons notre légitimité des Assemblées législatives des Etats membres. Moi,  par exemple, je suis 1er Vice-Président de l'Assemblée nationale du Sénégal. Cela corrobore ce que je viens de vous dire. Où est le problème ? Nous sommes un Parlement qui fait ce qu'il peut faire, mais c'est un Parlement écouté par les chefs d'Etat.

Une dernière question sur le Togo puisque ce pays préside actuellement la CEDEAO et que le prochain Sommet se déroulera à Lomé en juin... La situation au Togo ne vous inquiète-t-elle pas ?

Il ne faut pas se focaliser sur le Togo. Dans tous nos pays, les pays démocratiques, il y a ceux qui détiennent le pouvoir et une opposition qui s'agite pour venir au pouvoir. C'est le jeu démocratique. Mais, au Togo, il y a eu des élections législatives et présidentielles. Les mandats sont en cours, attendons que ces mandats se terminent. Chacun est libre. Au Sénégal, par exemple, il y a un débat sur le Code électoral. Nous ne sommes pas d'accord sur tout. Il y a une majorité et une opposition, c'est de bonne guerre, mais il faut laisser le jeu démocratique continuer. De toute façon, la démocratie s'est installée et c'est irréversible dans le monde. Au sommet de Lomé, dont je ne connaît pas encore l'ordre du jour fixé par la commission, nous allons discuter des questions qui intéressent notre communauté. Nous y serons en tant que représentants des peuples et, le moment venu, nous aurons - là encore - notre mot à dire.

Retrouver l'intégralité de cette interview (réalisée en partenariat avec New World TV) sur le site de la chaîne :  www.newworldtv.com

Bruno Fanucchi

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