UN MINISTRE PHILOSOPHE


Robert Dussey

Ministre togolais des Affaires Etrangères

Cheville ouvrière du Sommet extraordinaire de l'Union Africaine consacré à la sûreté et à la sécurité maritime, qui s'est tenu à Lomé du 13 au 15 octobre 2016, le chef de la diplomatie togolaise enseigne aussi la philosophie politique. Rencontre avec un jeune ministre hors-norme passé de l'ombre à la lumière.

De notre envoyé spécial à Lomé, Bruno Fanucchi

Sherpa et conseiller diplomatique du président togolais Faure Gnassingbé depuis 2005, le professeur Robert Dussey était plutôt un homme de l'ombre avant d'être nommé en septembre 2013 ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de l'Intégration africaine. Mais la récente organisation et le succès du Sommet extraordinaire de l'Union africaine consacré à la sûreté et sécurité maritime et au développement de l'Afrique l'a incontestablement mis en pleine lumière car l'adoption et la signature de la Charte de Lomé, le 15 octobre dernier, lui doivent beaucoup.

A la manœuvre depuis de longs mois pour mobiliser les énergies et assurer ce rendez-vous, qui marque le grand retour du Togo sur la scène internationale, le jeune chef de la diplomatie togolaise est pourtant un ministre atypique. Ancien séminariste et frère franciscain, ce n'est pas un diplomate et encore moins un énarque, mais un passionné de philosophie et amoureux de Kant, qui enseigne toujours la philosophie politique pour – comme il le confesse lui-même - « garder la tête sur les épaules et les pieds sur terre ».

Très à l'aise - et pour cause – dans les débats et les joutes oratoires, comme sur les plateaux, il fait partie de cette nouvelle génération d'hommes politiques (même s'il s'en défend) qui donnent un « coup de jeune » aux relations internationales. On le croise régulièrement à Paris, Washington, Abidjan, Rome ou Jérusalem, toujours très direct et ponctuel car il se donne corps et âme à sa nouvelle vocation. A la télé, il crève l'écran et décoiffe ! Même s'il la joue toujours modeste, en affirmant tout simplement : « Je veux juste aider le Président à réussir ».

"L'Afrique est malade de ses hommes politiques"

Ce proche du chef de l'Etat se plait à cultiver l'humilité pour rester à son poste et ne pas trop briller « à la place du calife » qu'il a décidé de servir en toute loyauté. « Je suis un universitaire, explique-t-il. J'occupe une fonction que le Président a bien voulu me confier, mais je ne souhaite pas faire carrière en politique ».

A 44 ans, sa carrière - ou plus exactement son parcours - est pourtant plus qu'original et déjà bien rempli. Né le 4 janvier 1972 à Bangui (Centrafrique), où ses parents étaient en poste, il y fait toute sa scolarité, entre au séminaire, apprend le latin et passe un baccalauréat littéraire. De retour au Togo, il rentre chez les frères franciscains avant de repartir au Congo-Brazzaville et de choisir finalement la Communauté des Béatitudes. Il abandonne bientôt sa vocation monastique et reprend ses études de philosophie en Côte d'Ivoire jusqu'à devenir Docteur en philosophie politique. Il a trouvé sa voie.

Intellectuel et surdoué, féru de nouvelles technologies, il se lance également dans l'écriture et la réflexion politique et devient un auteur prolifique. On retiendra notamment son essai (paru en 2009 aux Editions Picollec) sur « L'Afrique malade de ses hommes politiques » qui est une critique étayée de la classe politique et des présidents qui – sur le Continent – s'accrochent au pouvoir. Plus qu'un programme, c'est une vision éclairée et argumentée, un véritable plaidoyer pour le renouveau de l'Afrique et la mise en place effective d'une « bonne gouvernance » qui ne soit pas qu'un slogan.

« Avec le nouveau leadership et la jeunesse du chef de l'Etat, lâche-t-il aujourd'hui, nous pouvons incarner une autre manière de penser de la gouvernance ».

Chantre de l' "économie bleue"

Plongé dans le « grand bain » du pouvoir et de la politique avec des responsabilités ministérielles, il ne renie rien pour autant de sa solide formation chrétienne et de sa foi chevillée au corps, de ses convictions profondes et de ses amitiés efficaces par delà les fronières... Membre de la Communauté  Sant'Egidio (dont il est l'un des personnages clés et influents en Afrique), il joue souvent avec un certain talent les médiateurs et les hommes de réconciliation dans les situations difficiles. Pour le président du Togo, c'est donc une carte maîtresse.

Spécialiste des questions de Paix et de Sécurité, de la gestion et de la résolution des conflits, il a poussé le Togo à doner la priorité à ces questions capitales et à faire de gros efforts pour lutter contre la piraterie maritime sévissant dans le Golfe de Guinée.

« Le secret du Togo, qui n'a plus connu d'attaques depuis juillet 2013, explique-t-il, c'est l'investissement des autorités en faveur de la Marine nationale qui, en deux ou trois ans, est devenue une des meilleures de la région, grâce aux moyens qui lui ont été alloués. Nous avons dôté cette marine des moyens nécessaires pour la défense du littoral togolais ».

Mais le Togo - appelé souvent à la rescousse en urgence - ne saurait se substituer à tous ses voisins. « Il faut renforcer les moyens de chacune de nos armées navales... »

Un vrai sujet en Afrique, où 38 des 54 Etats sont des pays côtiers ! Des pays qui sont naturellement et directement intéressés par la mer, sa protection et ses richesses halieutiques. « L'avenir de l'Afrique demain passera par les mers et les océans car il y a énormément de richesses dans nos mers, comme le pétrole... L'Afrique doit donc tourner son regard vers les océans »

Ce jeune ministre est aussi une « boite à idées » qui fourmille de projets et d'initiatives à mettre en chantier. Dans la préparation du Sommet de Lomé, il a longuement développé le concept d' « économie bleue », dont il est devenu désormais le chantre... Il fait ainsi partie d'un cercle de réflexion initié par le secrétaire d'Etat américain John Kerry qui se réunit régulièrement et réfléchit à ces questions essentielles pour le devenir de la Planète.

« L'économie bleue commence d'abord par l'organisation du secteur de la pêche dans chacun de nos pays », observe-t-il en rendant hommage aux « marins et pêcheurs qui prennent des risques énormes pour aller en haute-mer trouver du poisson... »

"L'apport de la femme est indispensable au développement de notre continent"

Personnage brillant et séduisant, toujours tiré à quatre épingles, il n'a rien d'un moine-soldat si ce n'est la rectitude morale et professionnelle. Son premier objectif est de replacer le Togo au centre de toutes les décisions importantes pour l'Afrique et de refaire de Lomé une capitale incontournable.

« La vision du président de la République est de repositionner le Togo dans le concert des nations. Il y a quelques années, avant les moments difficiles et troubles socio-politiques que nous avons connus, le Togo était très présent sur la scène internationale avec les accords de Lomé 1 et Lomé 2 », rappelle-t-il pour expliquer qu'il va y consacrer tout son temps.

« Plusieurs rencontres internationales sont prévues à Lomé, nous confie-t-il. Nous sommes candidats par exemple pour abriter la conférence ministérielle de l'Organisation internationale de la Francophonie l'année prochaine et le Sommet de la Francophonie pour 2018. Nous allons organiser en 2017 un Sommet Israël-Afrique qui constituera une première consacrée aux questions économiques, de développement et de sécurité. Le Togo va donc aller de sommet en sommet et son agenda international est déjà bien chargé pour les quatre ans à venir». Avant d'ajouter : « Le président de la République prendra de surcroît l'an prochain la présidence en exercice de la CEDEAO».

Très discret sur sa vie privée (qu'il sépare vraiment de sa vie profesionnelle), il s'intéresse beaucoup aux femmes car il y voit à juste titre l'avenir de l'Afrique. « Les femmes en général et les femmes africaines en particulier, qui sont nos sœurs, nos mamans ou nos filles sont très en avance sur toutes ces problématiques écologiques et maritimes » comme en témoigne l'engagement de l'organisation WIMAfrica (Women in Maritime) créée l'an passé et dont de nombreuses militantes se sont investies dans le soutien de la Charte de Lomé.

« L'apport de la femme est indispensable au développement de notre continent et du Togo en particulier. C'est pourquoi le Togo fait déjà de la promotion de la femme un des facteurs importants de sa stratégie de développement : comment les promouvoir dans tous les secteurs ? ». Il suffit peut-être de leur faire confiance car le Togo ne manque pas de femmes de talent.