Tièna Coulibaly : "Le président Macron est le plus grand défenseur du G5 Sahel"

Tièna Coulibaly :

Tièna Coulibaly, Ministre malien de la Défense et des Anciens Combattants (Hady photo)


Ministre malien de la Défense et des Anciens Combattants, Tièna Coulibaly a téléphoné à son homologue burkinabè pour l'assurer de sa compassion pour les victimes des dernières attaques terroristes à Ouagadougou. Car le terrorisme ne connaît pas de frontières et la lutte contre le terrorisme au Sahel est avant tout une affaire collective. Dans une interview exclusive pour l'Afrique Aujourd'hui, le nouveau ministre fait le point de la montée en puissance de la Force conjointe du G5 Sahel et rend hommage à la détermination du président français.

Propos recueillis à Bamako par Bruno Fanucchi

La Force conjointe du G5 Sahel représente aujourd'hui combien d'hommes ?

Tièna Coulibaly : Créé en 2014, le G5 Sahel fut d'abord un organisme inter-gouvernemental pour le développement et son ministre de tutelle au Mali est le ministre des Affaires étrangères. La Force conjointe du G5 Sahel date, quant à elle, de 2017 et relève de mon autorité. Pour nos cinq pays, il y a sept bataillons (soit au total environ 5.000 hommes) avec un bataillon pour chaque pays, mais le Mali et le Niger en ont deux car le Mali à l'Ouest et le Niger à l'Est sont bordés par un autre pays du G5. Or, le principe, c'est de sécuriser nos frontières. Nous faisons donc le nécessaire. La partie militaire a désormais pris le dessus en raison du développement du terrorisme international au Sahel. Et, même si le monde s'intéresse davantage à nous sous cet aspect là, n'oublions pas le développement.

Et cette force sera réellement opérationnelle à quelle échéance ?

Initialement, cette force devait être opérationnelle pour ce mois de mars, si les moyens bien évidemment avaient été mis en place avant. Il y a eu des annonces et des promesses de contributions financières, mais on n'a rien reçu jusqu'ici, sauf pour certains équipements de transmission qui ont été financés par l'Union européenne pour assurer des visio-conférences. Jusqu'à plus amples informations, il n' y a – en dehors de cela – pas eu jusqu'à présent un seul autre franc de décaisser. A l'exception bien sûr des pays du G5 Sahel qui chacuns ont décidé de débourser 10 millions d'euros pour remettre en état les bataillons qu'ils affectent à cette mission.

Nos cinq pays étant parmi les pays les plus pauvres du monde, il convient de mettre nos sept bataillons en ordre de bataille – c'est le devoir de chacun de nos pays - avant de les placer sous le commandement de la Force conjointe, qu'ils soient fin prêts , que les hommes soient là, qu'ils aient les uniformes et les armes, qu'ils bénéficient des équipements et de l'entraînement nécessaires pour être pleinement opérationnels.

A l'issue du sommet de Niamey, le 6 février dernier, le nouveau président en exercice du G5 Sahel, le président du Niger, Mamadou Issoufou, a réuni dès le lendemain les ministres de la Défense et les chefs d'état-major et le commandant de la foce conjointe pour faire le point et voir où nous en étions de nos préparatifs. Et ce jour là, il avait été annoncé que nos bataillons devaient être prêts pour la fin de ce mois de février 2018. Il nous a donné toute une check-list et, sur chacun des points évoqués, il a demandé et obtenu de savoir qui fait quoi et quand. Tout devait être en ordre normalement pour la fin de ce mois de février.

Vous êtes donc fin prêts ou tout a pris un peu de retard ?

Nous sommes prêts et, de notre côté, le Mali est prêt. En plus de mettre ses deux bataillons en état, le Mali a été par la force des choses obligé de financer la mise en place du PC central de la Force à Sévaré avec les ressources nécessaires pour fonctionner. Le Mali n'a pas eu d'autre choix que de le faire lui-même et a investi beaucoup d'argent à Sévaré. A Niamey, on avait parlé de la nécessité de mettre en place un système de financement commun pour assurer le bon fonctionnement de ce PC central, en attendant les ressources extérieures qui sont promises. Celles-ci nous font bien plaisir, mais mettent un certain temps à arriver.

Cette nouvelle force mise sur pied est là pour combien de temps ? Pour 40 ans comme la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban) qui créée en 1978 pour une période dite « intérimaire » est toujours présente au Liban en 2018 ?

Non, ce ne sera pas comme cela car j'espère bien que l'on sera arrivé à bout du terrorisme d'ici là ! Même si nous avons des raisons de croire que cela va prendre un peu de temps de vaincre le terrorisme. La force conjointe, c'est une volonté de mutualiser les moyens contre le terrorisme et cette volonté politique des chefs d'Etat est très, très forte. Mais, comme nous sommes cinq pays parmi les plus pauvres du monde, cela veut dire que quelque soit notre volonté et la nécessité, nos moyens restent obligatoirement limités. Après avoir pris la ferme décision de continuer à faire chacun sa part d'efforts pour la mise sur pied de cette Force conjointe, nos Etats ont aussi décidé de demander l'appui de nos partenaires.

 

"Barkhane restera au Mali                    tant que cela sera nécessaire"

Avec quel agenda ?

Si les 414 millions d'euros (annoncé lors dela Conférence internationale de haut niveau qui s'est tenu à Bruxelles le 23 février dernier) sont décaissés, nous avons de quoi installer puis faire fonctionner la Force conjointe pendant un an. Notre premier budget était fixé à 423 millions d'euros et partait intialement de la création de la force à juin 2018, mais comme l'argent n'a finalement été promis qu'en février à Bruxelles et - Dieu seul le sait – versé on ne sait quand... tout cela a pris un peu de retard. Quand nous aurons réunis tous les sous, engagé toutes les mécanismes et procèdures, le calendrier sera ajusté et, quand toutes ces sommes promises seront bien décaissées, on rentrera dans un cycle plus régulier, annuel ou semestriel. Il est donc probable que les 414 millions d'euros nous servent à aller au-delà de juin 2018 qui étaient notre première échéance. Nos pays ont cependant conscience que, si quelqu'un d'autre ne le fait pas, nous devons le faire nous-mêmes. Si la situation de nos pays est très difficile et que chacun d'entre nous a sa part de misère, nous savons aussi qu'il n'est pas bien utile de dépenser le peu de ressources que nous avons dans autre chose si la sécurité des personnes et des biens n'est pas assurée. C'est notre première priorité.

Et, pour trouver des moyens, vous êtes sur tous les fronts...

Nous avons déjà réussi à associer l'Union africaine et les organismes sous-régionaux comme l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et la CEDEAO. Nous pensons que le Conseil Paix et Sécurité de l'UA va adopter la Force conjointe du G5 Sahel et l'appuyer comme elle peut. Mais il n'a échappé à personne que nous voulions aussi que les Nations unies adoptent le G5 Sahel sous le chapitre 7. Ce qui signifierait que le financement de la Force incomberait à l'ONU, ce que nous n'avons pas encore obtenu, mais nous ne désespérons pas car, chaque jour, il y a davantage de pays qui adhèrent à la cause du G5. Ce qui signifie que le jour n'est pas très loin où les Nations unies l'adopteront ! L'ONU est déjà saisie de notre demande et – parmi les membres permanents du Conseil de sécurité - le président français Emmanuel Macron est  le plus grand défenseur du G5 Sahel. Il faut rendre à César que ce qui est à César.

Nous pensons donc que la France va continuer à nous appuyer partout comme elle l'a fait depuis toujours et en particulier depuis l'arrivée du président Macron qui a commencé à parler du G5 Sahel dès son investiture et n'a pas arrêté d'en parler.

Mais le G5 Sahel n'a-t-il pas vocation à remplacer un jour l'opération Barkhane ?

Qui vous a dis cela ? Ce n'est ni dans l'esprit du président Keita, ni dans l'esprit du président Macron. Non, le président Macron a même promis que ce n'était pas pour que le G5 Sahel remplace Barkhane. A Gao comme à Bamako, le président Macron a redit que Barkhane resterait au Mali tant que cela sera nécessaire à la lutte contre le terrorisme et que le combat qu'il mène pour le G5 Sahel n'a pour objectif de remplacer Barkhane. A ce jour, les zones d'intervention de Barkhane et de la Force conjointe du G5 Sahel sont d'ailleurs différentes, à l'exception près d'une petite intersection dans la « zone dite des trois frontières » entre le Mali, le Niger et le Burkina. A la frontière entre le Mali et la Mauritanie, par exemple, Barkhane n'intervient pas. Cette force intervient essentiellement dans notre septentrion. Et c'est parce qu'elle fait du bon travail que cette force est toujours là. Nous en sommes très, très satisfaits.

"Il nous faut pousser les terroristes dans leurs derniers retranchements"

Deux soldats français ont cependant été tués le 21 février au Mali et les djihadistes ont lancé des attaques récemment encore à proximité de Bamako. Vu de l'étranger, on a l'impression que la guerre au Mali ne finira jamais...

Nous pensons au contraire que cela va bientôt finir. En vérité, nous ne faisons pas beaucoup de « triomphalisme » par rapport à ce que nous considérons être nos progrès dans la lutte contre le terrorisme parce que, chaque fois qu'un soldat est tué ou qu'une mairie est brûlée, c'est pour nous une défaite. Nous ne faisons donc pas de triomphalisme, mais il nous faut pousser les terroristes dans leurs derniers retranchements. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui leurs deux seuls moyens d'attaque restent de placer des IED (Engins explosifs improvisés) déclenchés à distance en se cachant lâchement ou de s'en prendre aux populations civiles innocentes. Il n'existe pas d'affrontements entre eux et nous car ils sont toujours perdants... Nous avons donc une stratégie pour mettre un terme à cela et lutter contre les IED, avec des moyens pour les détecter avant qu'ils n'explosent et des moyens pour se protéger de leur explosion. Nous travaillons surtout à identifier les terroristes et à les neutraliser avant qu'ils ne passent à l'action. Nous pensons aussi que notre action aura plus de résultats le jour où, en plus des effectifs dont dispose l'armée malienne, tous nos frères, qui sont dans les groupes armés et qui ont signé l'accord d'Alger, vont être intégrés dans les FAMA (Forces armées maliennes), l'armée régulière dans le cadre du processus de DDR (démobilisation, désarmement et réinsertion).

Mais l'accord d'Alger, qui date de juin 2015, est encore loin d'être complètement appliqué ? 

C'est trop facile vu de l'extérieur : pour vous, l'accord traîne, mais qu'est-ce qui reste encore à faire ? En réalité, l'accord pour la paix et la réconciliation au Mali issue du processus d'Alger (C'est son appellation exacte) impliquait beaucoup de réformes institutionnelles qui ont toutes été appliquées ou sont en train de l'être. L'accord prévoyait la mise en place d'autorités intérimaires, cela est fait, avant d'organiser des élections. L'accord prévoyait de renforcer la décentralisation justement par le canal de ces autorités intérimaires qui vont être demain remplacées par des élus qui auront plus de pouvoirs et la réorme pour leurs donner plus de pouvoirs est adoptée. L'accord prévoyait l'intégration des combattants des groupes armés dans les administrations militaires, para-militaires et civiles. Aujourd'hui même commence un atelier à Tombouctou entre la Commission nationale du  DDR et les groupes armés sur le terrain, ce qui va précisément aboutir à ce processus. Evidemment quand les gens se sont tirés dessus, avant de signer un accord de paix le lendemain, puis de marcher la main dans la main le surlendemain, c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire !

Le gouvernement a toujours été là et à la manœuvre pour dissiper les désaccords, éviter les escarmouches et mettre un terme aux affrontements, en mobilisant notamment d'importantes ressources financières. Ceux qui disent que la mise en œuvre de l'accord de la paix traîne ne sont pas très charitables. Il faut voir d'où l'on vient et où l'on va et surtout apprécier tous les efforts qui sont faits. Depuis début 2017, le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga s'est battu corps et âme pour faire avancer les choses et le nouveau Premier ministre nommé depuis le 30 décembre, Souleymou Boubeye Maïga, continue sur la même lancée.

Le gouvernement malien fait ce qu'il faut pour que les groupes armés s'entendent entre eux puis viennent avec nous pour que nous marchions ensemble à trois et, pendant ce temps, continue de combattre les terroristes au centre du pays... et tout cela avec très peu de moyens. Mais il est vrai que dans la lutte contre le terrorisme dans le nord du pays, la force Barkhane nous appuie et que nous avons aussi au Mali la MINUSMA, une force d'interposition de 12.000 hommes dont la mission n'est pas vraiment la lutte contre le terrorisme. Le Mali a demandé dès juin 2016 que le mandat de la MINUSMA soit renforcée et qu'elle participe un peu plus à la lutte contre le terrorisme, mais cela n'est pas encore acquis même si tout le monde est d'accord pour lui donner plus de « robustesse ». Maintenant que la Force conjointe est là, des discussions sont aujourd'hui en cours pour une assistance de la MINUSMA à cette nouvelle force. Cela veut dire qu'il y a désormais une synergie en cours et que l'on devrait revenir à la case départ d'un Mali en paix. Inch'Allah !

Bruno Fanucchi

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