Présidentielles aux Comores : Après la réélection du président Azali…l’opposition sort ses muscles
Le président sortant Azali Assoumani votant à Mitsoudjé son fief le jour du scrutin présidentiel du 24 mars dernier
Réélu dès le premier tour de la présidentielle anticipée du 24 mars dernier, le président Azali Assoumani va devoir gouverner le pays avec une opposition qui conteste sa légitimité et appelle la population à la sédition.
De notre envoyé spécial à Moroni, Clément Yao
La journée du jeudi 28 mars a été particulièrement marquée par des violences après celles qui ont émaillé le scrutin présidentiel du 24 mars dans l’île d’Anjouan. Selon le ministère comorien de l’Intérieur, des échanges de tirs ont eu lieu entre assaillants et l’armée à proximité du principal camp militaire de la capitale, excentré sur les bords de la mer. Information confirmée par le service de communication de la présidence de la République. Quant au bilan, il fait état de trois morts. « La situation est sous contrôle », selon la même source.
S’agissait-il d’une tentative de coup de force ou l’agissement d’individus isolés voulant en découdre avec le régime ? Difficile de se prononcer. On sait en revanche que ces incidents sont survenus après la réélection du président Azali Assoumani contestée par l’opposition. Selon les résultats provisoires proclamés par la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) le mardi 26 mars dernier, le président sortant a recueilli 96 635 voix sur les 159 008 suffrages exprimés, soit un peu plus de la moitié des 309 137 électeurs inscrits sur le fichier électoral. Le taux de participation de 53,84 % enregistré est relativement faible par rapport aux 64 % obtenu lors du référendum de juillet 2018.
Le président Azali Assoumani est donc réélu dès le premier tour avec un score sans appel de 60,77 %, au grand dam bien sûr des douze candidats de l’opposition, dont le chef de fil, Ahamada Mahamoudou, arrivé en deuxième position avec un triste score de 14,62 % et 23 233 voix seulement. Ces résultats provisoires devraient être confirmés, sans ambages, par la Cour suprême qui n’aura pas à examiner très certainement le moindre recours. En effet les douze candidats de l’opposition, qui s’étaient pourtant engagés dans le processus électoral, avaient décidé d’un commun accord de boycotter la suite du scrutin.
Un « boycott » actif lancé deux heures
avant la fermeture des bureaux de vote
Premier acte de ce « boycott » actif, ils ont appelé leurs assesseurs à déserter les bureaux de vote. Ensuite, ils ont demandé à leurs partisans d’empêcher par tous les moyens le transfert des urnes par aéronef des principales îles – Grande Comore, Mohéli et Anjouan – vers la capitale Moroni.
Conséquences de ces appels, une quarantaine d’urnes ont été saccagées en dépit des mesures sécuritaires prises par le ministère de l’Intérieur pour sécuriser le vote. Et c’est dans l’île d’Anjouan que les dégâts ont été les plus graves.
Pour justifier cette décision collégiale, les douze candidats de l’opposition expliquent qu’à partir du moment où la transparence du scrutin n’était plus garantie, ils ne pouvaient pas se rendre complices de ce « coup d’Etat électoral ». Leurs griefs portent notamment sur des bourrages d’urnes « avérés », des procurations non conformes au code électoral, les difficultés de certains de leurs assesseurs à accéder aux bureaux de vote, le retard accusé pour la mise en place du matériel électoral ou encore de l’ouverture de certains bureaux de vote (…) Tous ces éléments de preuves auraient été transmis à la communauté internationale et en l’occurrence aux Missions d’observations électorales (MOE) – la Commission de l’Union africaine (CUA), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), les Forces en attente de l’Afrique de l’Est (EASF) – invitées par les autorités comoriennes à superviser le bon déroulement du processus électoral.
Dans une déclaration conjointe, celles-ci ont conclu que « Les élections présidentielles et l'élection des gouverneurs du 24 mars se sont déroulées dans un climat de tension… Cette situation empêche les missions d’observations de se prononcer de façon objective sur la transparence et la crédibilité du scrutin. » Elles ont également fait des recommandations au gouvernement, à la Ceni, aux acteurs politiques, à la société civile et aux Comoriens.
"Les Comores n’ont de leçon
à recevoir de personne"
Bien évidemment, la réaction du pouvoir ne s’est pas fait attendre. C’est un des caciques du régime, l’ancien ministre de l’Intérieur Ali Houmed Msaidié, directeur de campagne du président sortant, qui le premier a porté la contradiction. Il a remis en cause le travail des observateurs. Pour lui, ce rapport est partiel parce qu’il ne prend pas en compte l’ensemble de la réalité du terrain dès lors que les observations n’ont porté que sur 316 bureaux de vote seulement alors que l’ensemble de l’archipel en comptait 731.
« Les Comores n’ont de leçon à recevoir de personne », avait-il lancé au cours d’une conférence de presse. Il a aussi commenté les innombrables recommandations d’encouragement à la création d’un cadre de concertation, au renforcement de l’indépendance de la Ceni, à l’implication de la société civile ou à la sensibilisation des électeurs. Des dispositions qui, selon lui, existent bel et bien et fonctionnent aux Comores. Attachées à la souveraineté de l’archipel, les autorités comoriennes n’attendent surtout pas se faire dicter des leçons de démocratie, d’autant plus que ces élections ont été entièrement financées sur fonds propre par ce petit Etat insulaire d’à peine 800 000 habitants. C’est encore au nom de cette même souveraineté et du principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat qu’une fin de non-recevoir a été opposée à l’Union Européenne (UE) qui avait pris sur elle l’initiative de former des observateurs comoriens recrutés localement sans se référer aux dispositions légales arrêtées par le ministère de l’Intérieur.
Le mardi 26 mars, alors que la Ceni poursuivait encore au Palais du peuple la compilation des résultats des 731 bureaux de vote, les douze candidats de l’opposition animaient une conférence de presse commune dans un hôtel de la place pour dénoncer la crédibilité du scrutin.
A tour de rôle, les mauvais perdants, Ahamada Mahamoudou (14,62 %) – chef de fil de cette opposition – , Mouigni Baraka Saïd Soilihi (5,57 %), Soilihi Mohamed (3,84 %), Hamidou Karihila (2,44 %), Saïd Ibrahim Fahmi (2,38 %), Hassani Hamadi Mgomri (2,25 %), Larifou Saïd (2,12 %), Achmet Saïd Mohamed (2,09 %), Ibrahim Ali Mzimba (1,38 %), Ali Mhadji (0,93 %), Saïd Jaffar El-Macelie (0,93 %) et Saadi Salim (0,69 %) ont pris la parole pour dénoncer « la fraude électorale ».
« Nul aujourd’hui ne peut réellement revendiquer une quelconque victoire. C’est la population qu’on a dupée. C’est à elle qu’on fait croire qu’elle peut prendre son destin en main. Nous demandons, purement et simplement, la remise en cause de ces élections qui ne peuvent qu’engendrer de graves problèmes », pestent-ils.
Dans ce qui semble être un front commun, l’opposition veut aller jusqu’au boutisme et ne rien négocier avec le pouvoir. Autrement, « Si le choix du peuple n’est pas respecté, nous tomberons dans l’anarchie et la violence », préviennent-ils.
« Se mobiliser derrière l’opposition
pour renverser le régime »
Face à la presse nationale et internationale, l’opposition n’a pas caché ses intentions et ses projets immédiats dans le contexte de ce qu’on pourrait qualifier de crise post-électorale à la comorienne.
« En tant que responsables politiques, nous prendrons nos responsabilités. Nous demandons aux Comoriens et aux Comoriennes de se joindre à nous. La seule façon de dire non, c’est le peuple lui-même qui doit se manifester. Nous demandons donc au peuple comorien de l’intérieur et de l’extérieur de se mobiliser derrière l’opposition pour renverser ce régime dictatorial », lancent-ils à l’unisson.
« A la fin d’un conflit, révèle un des candidats, il y aura toujours des élections sans ce gouvernement. Je vous l’assure, ce gouvernement va dégager. Il y aura certainement une période de transition au cours de laquelle seront organisées dans un bref délai des élections démocratiques, transparentes et inclusives »
Pour montrer leur détermination, certains candidats sont allés jusqu’à remettre en cause le code de bonne conduite qu’ils ont tous signé devant le président de la CENI le 19 février 2019.
Enfin pour nuancer toutes ces déclarations de va-t-en-guerre et éviter certainement les amalgames et autres ennuis judiciaires pour incitation à l’insurrection, les conférenciers ont tenu à préciser qu’« il n’est pas question d’usage de la force et encore moins des armes pour se faire entendre, mais de l’usage de moyens civils uniquement. »
Ancien officier de l’armée comorienne, le colonel Soilihi Mohamed a été le premier à monter au créneau pour lever l’équivoque. « Je suis un ancien militaire, il ne faut pas croire que nous allons faire usage des moyens militaires. Je n’ai jamais souscrit à un coup de force. Nous utiliserons tous les moyens civils à notre disposition pour nous débarrasser de ce régime », se justifie-t-il.
Après avoir demandé à la population civile à se joindre à eux, l’alliance de l’opposition a lancé le même appel aux forces armées comoriennes : « L’armée doit être en toute circonstance républicaine. Son rôle est de défendre non pas un pouvoir mais le peuple comorien. Dès lors que le peuple agit dans la légalité en organisant une marche, il n’y a pas de raison qu’elle fasse usage de la force contre le peuple. »
Ces appels du pied de l’opposition seront-il entendus par la population civile et les militaires ? La réponse est attendue dans les jours à venir. D’ores et déjà, les douze candidats ont annoncé une série d’actions sur l’ensemble de l’archipel dans le but d’obtenir l’organisation de nouvelles élections présidentielles et des gouverneurs. Le pari est loin d’être gagné.
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