Algérie : Pour Bouteflika, c'était le mandat de trop !

Algérie : Pour Bouteflika, c'était le mandat de trop !

Hospitalisé depuis une quinzaine de jours à Genève, le président Abdelaziz Bouteflika vient de rentrer à Alger et de renoncer finalement à un cinquième mandat, sans démissionner pour autant. Cela suffira-t-il à désamorcer la crise ?

Par Bruno Fanucchi

Une semaine après le dépôt de candidature Abdelaziz Bouteflika et l'enregistrement de celle-ci pour l'élection présidentielle du 18 avril prochain, le président algérien est rentré dimanche soir au pays où la colère gronde toujours. Trois vendredis de suite, des dizaines de milliers de jeunes sont descendus dans les rues d'Alger et des grandes villes pour dénoncer cette volonté de briguer un nouveau mandat à la tête de l'Algérie et dire : « Non à un 5ème mandat ! ». Car c'est véritablement le « mandat de trop » qui est en train de mettre le feu aux poudres au pays, où de nombreux slogans et pancartes sont apparus avec un seul mot d'ordre qui fait l'unanimité de la rue : « Dégage ! ». Et des appels à la « grève générale » - diversement suivis selon les villes - ont été lancés ce dimanche et de nouvelles manifestations étudiantes sont prévues ce mardi dans tout le pays. C'est assurément pour l'Algérie un moment historique.

Pour tenter d'atténuer la colère populaire, le chef de l'Etat – qui était hospitalisé à Genève depuis une quinzaine de jours - a limogé l'ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal (qui fut pourtant son directeur de campagne de ses trois dernières présidentielles) et a laissé entendre qu'il pourrait aussi organiser une élection anticipée, à laquelle il ne se présenterait pas. L'objectif est de tenter de désamorcer la crise par de « belles promesses » auxquelles plus personne pourtant ne croit... pour faire comprendre à tous qu'il est désormais résolu à passer la main avant la fin de ce cinquième mandat de 5 ans. Quelle démagogie ! Quand on sait le prix de l'organisation d'un scrutin national, la manœuvre paraît pour le moins fort maladroite car c'est vraiment prendre les Algériens pour des imbéciles.

Dans un message à la Nation, lu en son nom lundi soir à la télévision d'Etat, le président Bouteflika a cependant annoncé qu'il renonçait finalement à un cinquième mandat et a décidé de reporter sine die l'élection présidentielle prévue le 18 avril. C'est une première victoire du peuple algérien, plus déterminé que jamais à changer de système. Et, là, c'est encore loin d'être gagné !

Au pouvoir depuis bientôt 20 ans

et physiquement diminué depuis 2013

Victime d'un AVC en 2013, Boutef a vu depuis cette date sa mobilité réduite et n'apparaît que très rarement en public et en fauteuil roulant, ce qui donne bien sûr une image bien dégradée de l'Algérie. Au pouvoir depuis le 27 avril 1999 (bientôt 20 ans !) et réélu systématiquement en 2004, 2009 et 2014, toujours président d'honneur du FLN depuis 2005 après avoir été ministre des Affaires étrangères de 1963 à 1979, Bouteflika vient de fêter le 2 mars dernier ses 82 ans. Un âge canonique, où il serait grand temps pour lui de prendre sa retraite. Mais, visiblement, Boutef et tous ceux qui l'entourent ou gouvernent à sa place n'ont pas su tirer les leçons de l'Histoire, notamment en Afrique où ils sont nombreux comme lui à vouloir ainsi s'accrocher coûte que coûte au pouvoir.

En octobre 2014, au Burkina Faso, le président burkinabè Blaise Compaoré - qui était au pouvoir depuis 27 ans - a ainsi été renversé par un  soulèvement populaire et exfiltré in extremis en Côte d'Ivoire où – bénéficiant désormais de la nationalité ivoirienne – il s'en mord aujourd'hui les doigts. Trop tard.

L'homme avait pourtant fait de belles choses pour le pays et son développement, puis joué un rôle important de « facilitateur » pour dénouer de nombreuses crises sous-régionales qui faisait de lui un personnage référent et incontournable du Continent.

Mais il a été, lui aussi, victime de son entourage le plus proche qui ne voulait pas abandonner ses prébendes et privilèges, mais continuer à « manger ». Même si beaucoup aujourd'hui commence à la regretter à Ouagadougou, au regard notamment de la situation sécuritaire qui s'est sérieusement dégradée, il lui fallait organiser sa succession et passer la main à temps. On ne réécrit pas l'Histoire.

A Abidjan et Conakry, ils s'apprêtent

à commettre les mêmes erreurs...

D'autres en Afrique de l'Ouest s'apprêtent pourtant à commettre les mêmes erreurs comme le président Alpha Condé en Guinée, au pouvoir à Conakry depuis décembre 2010 et qui lorgne déjà – malgré son âge avancé de 81 ans fêté le 4 mars dernier -  un troisième mandat de 5 ans et parcourt tout le pays comme s'il était déjà candidat sans le dire pour la prochaine présidentielle d'octobre 2020. Ou comme le président ivoirien Alassane Ouattara (âgé de 77 ans) qui lui aussi lorgne un troisième mandat en 2020 et prépare avec le RHDP une véritable « machine de guerre » pour garder le pouvoir en Côte d'Ivoire.

Même si l'un comme l'autre ont fait certainement des choses utiles pour leurs compatriotes, en développant notamment les infrastructures nécessaires à l'économie de leur pays, personne ne doit se croire éternellement « indispensable » . Ce sont les leçons de l'Histoire, dont il faut savoir tenir compte. D'autant plus que, dans un Continent où plus de 60 % de la population a aujourd'hui moins de 25 ans, les nouvelles générations ne veulent plus réélire systématiquement des « dinosaures » de 80 ans révolus. Même si les « anciens » sont toujours respectés comme des sages en Afrique.

En Algérie, tous ont bien compris depuis longtemps que le président Bouteflika en fauteuil roulant n'était plus qu'une « marionnette » aux mains d'une poignée de généraux qui, dans l'ombre, dirigent le pays depuis de nombreuses et détournent la rente pétrolière. Il faut que ces mauvaises habitudes cessent et que la « bonne gouvernance » s'impose enfin. Il faut que les dirigeants trop vieux ou malades aient le courage et la lucidité de passer la main pour le bien commun et la dignité retrouvée de leur pays. Comme au Gabon, où le président Ali Bongo – victime lui-aussi d'un AVC le 24 octobre 2018 à son arrivée à Riyad en Arabie Saoudite pour prendre part à une conférence internationale – n'est visiblement plus en état de gouverner, même à distance. Visiblement amoindri et lui-aussi en fauteuil roulant, Ali Bongo n'a fait que deux passages éclairs à Libreville depuis plus de quatre mois, avant de retourner en convalescence au Maroc. Combien de temps cette situation ubuesque peut-elle encore durer ?

La France – dont le moindre geste est scruté en Afrique - doit, elle-aussi, cesser de soutenir ces régimes agonissants, discrédités et corrompus par peur du changement. « La France n'a pas de politique africaine », avait lâché Emmanuel Macron lors de son fameux discours devant l'Université de Ouagadougou le 28 novembre 2017 dans une « petite phrase » lourde de signification à double sens, mais que presque personne n'a relevée à l'époque. Un discours de référence paradoxalement devenu l'alpha et l'omega de sa politique en Afrique !

Le président français – qui a montré son amateurisme dans la crise des « gilets jaunes » - voulait ainsi faire comprendre qu'il souhaitait – comme ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande du reste – mettre fin à ce que l'on a appelé la « Françafrique ». Mais c'est en réalité très grave pour un président français de « ne pas avoir de politique africaine » et de l'avouer ainsi publiquement car l'Afrique est bel et bien la profondeur stratégique de le France et de l'Europe. Nous avons une histoire commune, une langue commune, des intérêts économiques et stratégiques communs, surtout face aux réseaux et menaces terroristes qui se sont développés au Sahel et dans toute l'Afrique sub-saharienne précisément. Comment peut-on faire preuve d'un tel aveuglement ?

Le courage de Soro va le rendre populaire

Prenons un seul exemple, celui de la Côte d'Ivoire que je connais bien. Qui peut nous faire croire un seul instant que l'urgence pour ce pays et la préoccupation première de l'Ivoirien moyen était de changer la Constitution pour y créer un poste de Vice-Président, donné à une personnalité au demeurant fort respectable, l'ancien Premier ministre Daniel Kablan Duncan, et un Sénat présidé lui-aussi depuis avril 2018 (mais pour combien de temps encore ?) par un ancien Premier ministre Jeannot Ahoussou-Kouadio ? Deux caciques du PDCI. Tout cela coûte bien cher au budget de l'Etat ivoirien et ne fait pas progresser le pays qui pourrait faire là de sérieuses économies fort utiles par exemple pour améiorer les secteurs clés que sont l'éducation et la santé.

Qui n'a pas deviné la manœuvre visant à rétrogader petit à petit dans la hiérarchie protocolaire de l'Etat, puis à marginaliser Guillaume Kigbafori Soro, alors président de l'Assemblée nationale, qui était jusque là le deuxième personnage de l'Etat et le « dauphin naturel » de l'actuel chef de l'Etat, lequel ne serait jamais arrivé au pouvoir sans les Forces nouvelles ? Jusqu'à le contraindre à la démission en lâchant cette petite phrase assassine lors des vœux à la presse le 28 janvier dernier, faisant fi de la séparation des pouvoirs : « Soro démissionnera en février, c'est entendu, c'est réglé ! ».

Mais cette « manœuvre politicienne » s'est finalement retournée contre son commanditaire car Guillaume Soro, en démissionnant de lui-même le 8 février dernier lors d'une session extraordinaire de l'Assemblé nationale, est sorti par la grande porte. En faisant délibérément le sacrifice de son poste et en prenant le pays à témoin pour « ne pas créer une nouvelle crise politique » dont la Côte d'ivoire n'a pas besoin, Soro s'est incontestablement grandi. Et n'a pas caché ses ambitions présidentielles en termes choisis et parlant : « J'abandonne le tabouret pour viser le fauteuil ».

Car il est rarissime qu'un dirigeant politique – promis à un aussi bel avenir -  reste fidèle à ses convictions profondes et prenne avec courage une telle décision à seulement 46 ans. Un geste qui – c'est une évidence – va le rendre extrêmement populaire auprès de la jeunesse ivoirienne qui en a assez des éléphants et des crocodiles du marigot politique et veut changer enfin de génération. Voilà un acte politique qui devrait, de surcroît, éclairer les dirigeants africains et les inviter à changer enfin de méthodes et de comportements.

Grand reporter, je parcours l'Afrique depuis plus de 30 ans et je les ai tous connus et interviewés avant, pendant et après qu'ils ne soient au pouvoir, mais « quand le Roi est nu », j'ai toujours eu le courage de lui dire en face – que cela lui plaise ou non – car les « grands de ce monde » ou ceux qui se croient tels ont grand besoin qu'on leur parle franchement. Entourés de courtisans, vivant dans une bulle et ne pensant bien souvent qu'à défendre les intérêts de leurs « clans » , ils sont complètement déconnectés de la réalité et sont devenus autistes ! Comme Bouteflika l'a été ces dernières semaines en Algérie, avant de renoncer finalement à ce cinquième mandat, tout en se gardant bien de démissionner pour autant. Mais – attention – c'est comme cela que naissent les révolutions !

Bruno Fanucchi

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