Bénin : La démocratie, « Talon d’Achille » du pouvoir ?

Bénin : La démocratie, « Talon d’Achille » du pouvoir ?

Le régime du président Patrice Talon semble de plus en plus empêtré dans une affaire juridico-politique avec son principal adversaire Sébastien Ajavon. Avec l’exclusion de l’opposition des élections législatives du 28 avril, la démocratie béninoise - jadis citée comme un modèle en Afrique – est mise à mal. Explications.

Par Clément YAO

Dès son élection en avril 2016, le président Patrice Talon s’était engagé à ne faire qu’un seul mandat à la tête du Bénin. A deux ans de la fin de son quinquennat, le moins qu’on puisse dire, c’est que les belles promesses du président Talon ne sont pas encore au rendez-vous ou, du moins, qu'elles sont loin d’être tenues dans les faits comme dans les actes.

« Je ferai de mon mandat unique une exigence morale. Je m'engage à faire de ce mandat un instrument de rupture et de transition, à promouvoir une justice indépendante, à redynamiser l'administration publique », avait clairement déclaré ce dernier lors de son investiture.

Une justice "à double tranchant"

L’affaire Sébastien Ajavon, qui défraie la chronique, a fini par révéler la face cachée de la promesse présidentielle de « promouvoir une justice indépendante. » Poursuivi puis relâché dans un premier temps par la justice après la mystérieuse découverte de 18 kilogrammes de cocaïne dans un conteneur destiné à sa société au port de Cotonou, Sébastien Ajavon avait été rejugé, dans un second temps, par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) soupçonnée d’être aux ordres du pouvoir. Pas étonnant : l’homme le plus fortuné du Bénin avait écopé de 20 ans de prison ferme par contumace en dépit de toutes les preuves versées par ses avocats pour prouver son innocence et attester par la même occasion la thèse du « coup monté pour noyer le poisson ».

Une justice à double tranchant que la partie adverse a décriée et dénoncée auprès de la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples d’Arusha en Tanzanie. La mission de cette Cour, en activité depuis 2004, est en effet de compléter et de renforcer les fonctions de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Vu que la violation des droits de l’homme est la pratique la mieux partagée sur le Continent, on peut affirmer - sans le moindre risque de se tromper - qu’elle a du pain sur la planche.

Le 29 mars dernier, la décision rendue par cette Cour régionale, qui a prééminence sur la justice du Bénin, pays signataire, a été un véritable camouflet pour le régime. Elle a en effet ordonné à l'Etat béninois «de prendre toutes les mesures nécessaires pour annuler l'arrêt rendu le 18 octobre 2018 par la CRIET de manière à en effacer tous les effets et de faire rapport à la Cour dans un délai de six mois». Une victoire judiciaire savourée, comme on peut l’imaginer, par les partisans de Sébastien Ajavon considéré aujourd’hui comme le « talon d’Achille » du Patrice Talon.

A l’inverse, selon de bonnes sources, dans le camp du pouvoir, les têtes de toutes celles et de tous ceux qui ont été chargés de manœuvrer pour mettre « hors de course » le principal opposant des échéances à venir, pourraient tomber après les élections législatives du 28 avril prochain auquel aucun candidat de l’opposition ne pourra malheureusement participer. En tout état de cause le chef de l’Etat béninois est encore loin, au regard des faits, de donner les gages d’une indépendance véritable à la justice de son pays.

« Un recul démocratique », selon l’opposition

Autre fait à relever, le nouveau Code électoral version Talon, qui n’a pas laissé passer un seul candidat de l’opposition entre les mailles de ses conditions d’éligibilité, est jugé « anti-démocratique». Selon la Commission électorale nationale autonome (Cena), les cinq partis de l’opposition auraient fourni des listes comportant des doublons de candidatures, une absence du quitus fiscal ou encore de certificat de conformité à la nouvelle charte des partis politiques en vigueur depuis octobre 2018, les obligeant à avoir au moins 15 membres dans toutes les 77 communes du pays.  

Aux dires de l’opposition, le Bénin a fait un bond en arrière. Alors que le pays s’était illustré dans les bonnes pratiques démocratiques exemplaires dans la sous-région depuis ces trente dernières années. C’est en effet la première fois que l’opposition ne participera pas à une élection aussi importante que celle des législatives. Elle voit,  derrière toutes ces manœuvres politiques du pouvoir un plan bien orchestré pour disposer d’un parlement unicolore dans le but de faire passer toutes les lois.

C’est pourquoi beaucoup d’observateurs ne manquent pas d’ironiser sur les promesses du président Talon qui s’était aussi engagé de faire de son mandat « un instrument de rupture et de transition. » Justement, il s’est démarqué de ses prédécesseurs en « muselant » l’opposition et en cherchant à « neutraliser » définitivement ses adversaires les plus gênants. Cependant, il se risque à enflammer le front social qui semble se montrer très solidaire des déconvenues de l’opposition.

Clément Yao

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