Cardinal Jean-Pierre Kutwa, archevêque d'Abidjan : « L'Eglise catholique est bien vivante en Côte d'Ivoire »

Cardinal Jean-Pierre Kutwa, archevêque d'Abidjan : « L'Eglise catholique est bien vivante en Côte d'Ivoire »

Cardinal Jean-Pierre Kutwa, archevêque d'Abidjan (Photo : @Bruno Fanucchi)


Archevêque d'Abidjan depuis 2006, Mgr Jean-Pierre Kutwa a été créé cardinal en 2014 par le Pape François, dont il est devenu l'un des principaux conseillers. Aujourd'hui âgé de 71 ans, l'ancien curé de la cathédrale Saint-Paul d'Abidjan – qui échappa plusieurs fois à la mort - est un homme de foi qui ne met ni sa langue ni son drapeau dans sa poche. Interview.

Propos recueillis à Abidjan par Bruno Fanucchi

En Côte d'Ivoire, le nombre important de baptêmes, baptêmes d'adulte, confirmations, mariages et ordinations en témoigne. Comment expliquez-vous cette vitalité ?

Mgr Jean-Pierre Kutwa

L'Eglise de Côte d'Ivoire a célébré son centenaire en 1995, ce qui veut dire qu'elle est relativement jeune et tout ce qui est jeune bouillonne. Cette Eglise cherche par tous les moyens à connaître le Christ et à le faire aimer.

L'Eglise en Afrique porte quelque chose en elle car le christianisme n'a pas trouvé l'Afrique athée, mais a trouvé l'Afrique déjà croyant en quelque chose. Cette foi, cette religion traditionnelle, c'est comme un substrat. Le chrétien africain a besoin de connaître une certaine purification : il faut oser la rencontre heureuse entre le christianisme et les cultes traditionnels.

Dans la tradition africaine, il y a des éléments qui sont bons et ceux-ci peuvent être repris par le christianisme. Tout ce qui est bon est du Christ et tout ce qui est mauvais, il faut qu'on arrive à s'en défaire et ce n'est pas facile car le Diable est aussi à l'oeuvre et « se met dans les détails », comme l'on dit couramment.

Aujourd'hui, bien que le chrétien africain - et particulièrement le chrétien ivoirien - suive le Christ avec enthousiasme, il porte aussi ce poids, il traîne ce petit boulet. Il faut donc qu'il arrive à accepter que le Christ pénètre en tout et élimine ce qui n'est pas compatible avec le christianisme. Quand cette rencontre n'est pas bien faîte, on voit que, le jour, on est très chrétien avec le Christ et, la nuit, on est encore avec nos petites divinités.

Quelles sont aujourd'hui vos priorités pastorales pour l'évangélisation de la Côte d'Ivoire ?

La priorité des priorités, c'est de faire connaître Jésus Christ par un véritable enseignement. Il ne faut pas en rester à ce que l'on a appris au catéchisme. C'est la base, mais ce n'est pas suffisant. Il faut une formation doctrinale pour amener le chrétien à connaître vraiment le Christ. C'est cette formation là qui donne des chrétiens très engagés dans la vie de la Cité et pour la propagation de la foi. Et ceux-ci peuvent à leur tour annoncer la Bonne Nouvelle » aux autres, être missionnaires.

« En Afrique, il faut avoir une sacrée Foi

pour résister aux Eglises évangéliques »

L'Eglise catholique en Afrique fait face à une offensive en règle des Eglises évangéliques qui débarquent ici avec beaucoup de moyens financiers...

Les Eglises évangéliques, c'est vrai, font chez nous beaucoup de prosélytisme et semblent laisser percevoir en premier « l'Evangile de la prospérité »...

Qu'est-ce que c'est ?

Il s'agit tout simplement de faire croire que le Christ va vous apporter beaucoup d'argent. Pour un peuple qui est pauvre, cet Evangile là, c'est plus qu'une « bonne nouvelle » en apparence, il attire beaucoup de monde et de fidèles, mais c'est un miroir aux alouettes...

C'est aussi un Evangile qui voit le Diable partout. D'où de nombreuses séances d'exorcisme dans leurs célébrations. On vous met dans une ambiance surchauffée grâce à la sono et cela déclenche beaucoup de réactions en vous, beaucoup de choses qui font peur. Pyschologiquement, quand on se retrouve dans une telle ambiance, il suffit que l'on ait un petit problème intérieur – et qui n'en a pas ? - pour entrer littéralement en transe. Et l'on met cela sur le compte du Diable qui prend alors possession de vous puisque vous entrez en transe.

Ces méthodes semblent donc assez maléfiques ?

Je ne le dirais peut-être pas comme cela, mais ce sont des méthodes qui ne sont pas très catholiques... (Rires). A quelqu'un qui est pauvre et cherche à manger, on dit en effet : « Viens, tu auras à manger, tu auras l'argent ». Il faut avoir une sacrée Foi pour résister aux Eglises évangéliques. Et ne pas se laisser embrigader. Ces Eglises font des ravages au sein même de l'Eglise catholique qui, elle, ne prêche pas le bonheur et la réussite sur terre.

Quelqu'un qui se contente du peu qu'il a appris pour faire sa première communion se laissera séduire devant un autre qui brandit à tout bout de champ des versets de la Bible pour lui promettre monts et merveilles. C'est tellement attirant ! Si on n'a pas soi-même une formation doctrinale très solide, on se laisse facilement appâter, du moins dans un premier temps...

« Le terrorisme est un signe des temps et vient

nous rappeler que l'homme n'égale pas Dieu »

Votre Eglise – comme toute la société ivoirienne – est également confrontée à un autre défi qui est celui de l'islamisme, de plus en plus actif en Afrique et lui aussi largement subventionné... Comment peut-on y faire face ?

Qu'est-ce qu'il faut faire ? C'est, je le répète, penser à donner une formation doctrinale solide aux chrétiens. Quand quelqu'un est solidement formé, qu'il connaît sa religion, qu'il connaît ce que dit et veut le Christ, il peut aller à la rencontre de l'autre, à la rencontre du musulman et même de l'islamiste sans se faire avaler par l'autre. D'où l'accent mis sur la formation doctrinale. Quand on n'a pas cette formation, on est balloté par tous les vents.

Tous les musulmans bien sûr, et Dieu merci, ne sont pas terroristes, mais presque tous les terroristes ayant récemment commis des attentats en Occident comme en Afrique se revendiquent de l'islam...

Je ne veux pas parler pour l'islam, mais ce que je sais c'est que c'est une grave erreur de croire plaire à Dieu en ôtant la vie qu'il donne. On ne peut pas se réclamer de Dieu pour tuer quelqu'un que Dieu a créé. Même le plus grand des pécheurs, jusqu'à son dernier souffle, peut se convertir. Toutes les chances doivent donc lui être laissées jusqu'à la fin de sa vie.

Dans tous ces actes terroristes, peut-on voir un « signe des temps » nous invitant à changer de vie et à nous convertir ?

Parfaitement, cela peut être interprété comme un « signe des temps » au sens de Vatcan II car, avec le nouvel ordre mondial, l'homme peut plus facilement nencore qu'auparavant se prendre pour Dieu : il a de plus en plus l'impression d'être le maître de la vie. Or l'homme n'est pas le maître de la vie, c'est Dieu. Ce terrorisme vient donc nous rappeler – attention - que l'homme n'égale pas Dieu, que Dieu est toujours au-dessus de l'homme et de toutes choses.

Il faut que l'homme fasse attention car le terrorisme c'est un mauvais chemin emprunté pour pousser l'homme à se prendre pour Dieu : « Vous serez comme des dieux ! »

« Il y a une totale incompatibilité

entre christianisme et franc-maçonnerie »

En la fête de l'Ascension, le 25 mai dernier, les évêques de Côte d'Ivoire ont fait lire dans toutes les églises du pays une déclaration rappelant que l'on ne pouvait être à la fois chrétien et franc-maçon. Quelle est l'actualité de cette mise en garde ?

Nous n'attaquons personne, mais nous voulons donner une formation profonde à nos fidèles. Or nous autres, pères des chrétiens de Côte d'Ivoire, nous nous rendons compte que des gens vont à la franc-maçonnerie par ignorance (ils ne savent pas dut out ce que c'est réellement), d'autres par curiosité malsaine et d'autres enfin essentiellement par désir d'ascension sociale, mais sans y voir plus de mal que ça. On leur fait souvent croire en effet qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre christianisme et franc-maçonnerie, alors que ce n'est pas vrai... Il y a une totale incompatibilité !

Pourquoi ?

Avec le relativisme ambiant, Jésus est reconnu certes comme un homme plus ou moins parfait, un modèle à imiter, mais Jésus n'est pas reconnu comme étant Dieu. Or, si Jésus n'est pas Dieu, tout s'écroule et notre foi est vaine. Il y a donc incompatibilité entre ceux qui considèrent Jésus comme un homme quasi parfait et qui l'aiment bien et ceux qui considèrent que Jésus est « à la fois vrai Dieu et vrai homme », comme on le dit dans le credo, et qui l'adorent comme tel.

Pour moi, comme pour tous les catholiques, Jésus-Christ est Dieu. Certains rejoignent la franc-maçonnerie sans savoir cela. C'est pouquoi l'Eglise a toujours condamné la franc-maçonnerie qui nie ce point central de la divinité du Christ. D'où la nécessité de cette mise en garde adressée à tous nos fidèles, dont beaucoup en Côte d'Ivoire se laissent tenter pour avoir leur place au soleil !

Vous êtes l'un des proches conseillers du pape François. En quoi consiste cette mission ?

Quand il y a de grandes questions qui se posent à l'Eglise, le Pape convoque tous les cardinaux à Rome pour recueillir leurs avis afin de pouvoir l'aider à prendre les décisions pour l'Eglise. Voilà en quoi consiste ma mission de conseiller du Pape. Je fais ainsi partie de plusieurs dicastères romains, comme le Conseil pour les laïcs et la famille, la Congrégation pour l'évangélisation des peuples, l'Institut des vies consacrées et des sociétés apostoliques. Et, à mon retour de Rome, je procéderai à Abidjan à plusieurs ordinations sacerdotales. C'est une preuve supplémentaire que l'Eglise en Côte d'Ivoire est bien vivante.

Et vous, Monseigneur,  avait échappé plusieurs fois à la mort...

Comme je l'ai dit à votre confrère Léon Francis Lebry, qui m'a consacré une très belle biographie intitulée « Miraculé et Cardinal » (parue en Côte d'Ivoire aux Editions NEI-CEDA), et répété plusieurs fois en guise d'action de grâce : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles ! ».

Cette interview exclusive est parue dans l'hebdomadaire « France catholique »  le 14 juillet 2017

www.france-catholique.fr

Bruno Fanucchi

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