Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar : "Je souhaite à l'Afrique de mieux connaître le Christ"

Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar  :

Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar 


Vingt-cinq ans après la venue de Jean-Paul II à Dakar, en février 1992, le Sénégal attend la visite du Pape François... sans doute en 2018. Rencontre avec Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar, à la tête d'une Eglise qui fait preuve d'une extraordinaire vitalité missionnaire dans un pays à plus de 90 % musulman. Interview exclusive.

Propos recueillis à Dakar par Bruno FANUCCHI

Que représente l'Eglise catholique aujourd'hui au Sénégal et plus particulièrement à Dakar ?

Mgr Benjamin Ndiaye : 

Notre communauté est forte d'environ 500.000 âmes aujourd'hui pour tout l'archidiocèse de Dakar, c'est-à-dire les trois doyennés de Dakar, Plateau-Médina, Grand-Dakar/Yoff et Niayes, et les deux doyennés de la Petite-Côte et du Sine. A l'échelle du Sénégal, nous représentons 5 à 7 % de la population. C'est un ordre de grandeur.

Combien de baptêmes, d'ordinations ou de mariages religieux par an ?

Comme indicateurs, je parlerai plutôt des baptêmes d'adultes qui rendent mieux compte d'une certaine vivacité de l'Eglise. Il y a environ 2.600 baptêmes d'adultes par an et les confirmations pour la seule région de Dakar suffissent à remplir la cathédrale Notre-Dame des Victoires. Sans compter les zones rurales. Il y a également entre 700 à 800 mariages par an, dont une cinquantaine de mariages avec disparité de cultes, c'est-à-dire entre chrétiens et non-chrétiens, qui nécessitent toujours une dispense que l'évêque doit donner.

Et combien avez-vous de paroisses et de prêtres ?

Dans l'archidiocèse, on compte 53 paroisses et environ 250 prêtres pour les desservir, y compris les missionnaires. Nous comptons une bonne centaine de prêtres diocésains et nous avons bon espoir puisque nos séminaires sont pleins avec plus de 120 séminaristes en propédeutique, en philosophie ou en théologie. C'est l'avenir. J'ai eu l'occasion récemment de visiter le séminaire de théologie. Ils sont environ 80 sur place et une vingtaine qui sont en stage. Ils sont 60 en cycle de philosophie et 25 pour la propédeutique. La relève est là et on s'en réjouit. Quant aux ordinations, on compte entre 5 et 7 nouveaux prêtres et religieux par an en moyenne. Je vais ordonner prochainement le 25 novembre, à la veille de la fête du Christ-Roi, cinq prêtres diocésains et cinq diacres des Oblats de Marie Immaculée qui sont tous Africains. Cette cérémonie d'ordination se passera dans la ville de Mbour. Car il nous faut aller toujours plus vers les populations et ne pas toujours tout centrer sur la cathédrale de Dakar. Les nouveaux prêtres pourront ainsi, dès le lendemain, célébrer leurs premières messes pour la fête du Christ-Roi dans leurs différentes paroisses. Ce dimanche correspond en effet à l'envoi en mission pour la nouvelle année liturgique, selon nos pratiques locales.

"La motivation missionnaire de Mgr Lefebvre était extraordinaire"

Quelles sont les priorités pastorales du nouvel archevêque de Dakar ?

Nommé le 22 décembre 2014, j'ai pris officiellement mes fonctions d'archevêque de Dakar le 21 février 2015. Mes priorités pastorales, c'est avant tout la nécessité de rejoindre les fidèles chrétiens dans la grande banlieue de Dakar. Les populations, qui ne font pas partie des élites privilégiées, sont toujours plus loin du centre Dakar à cause de la trop grande cherté de la vie et du logement dans notre capitale et ses environs. Ces zones périphériques sont pour moi la priorité.

Il y a deux ans, j'ai célébré en banlieue une messe en plein air dans une zone où il n'y a ni église ni presbytère, mais j'ai entrepris d'y faire une fondation et un prêtre a accepté d'être envoyé là. Même si nous célébrons toujours sous un chapiteau, c'est une communauté chrétienne très vivante et très belle. Ces nouvelles fondations dans la périphérie de Dakar sont sans doute ma plus grande préoccupation actuielle.

Mais j'ai également visité plusieurs nouvelles paroisses dans le secteur urbain comme dans le milieu rural. J'ai ainsi été à Bikol, au sein de la mission Sainte Jeanne d'Arc de Fatick. Les gens veulent des prêtres les plus proches possibles de leur quotidien. Ma priorité, c'est une pastorale de proximité pour que les prêtres soient au milieu du peuple de Dieu, des fidèles et des populations pour les accompagner.

Nous créons de nouvelles paroisses au rythme de nos moyens, humains d'abord et financiers bien sûr. Je veux saluer ici la motivation des prêtres qui sont disponibles pour aller le plus loin possible et j'admire ceux qui ont accepté de partir dans des conditions parfois très difficiles. Cette année, nous venons ainsi d'ouvrir une fondation à Ngohé qui devrait être assurée par les Spiritains et un prêtre diocésain s'est proposé pour la prendre en charge en attendant qu'ils prennent le relais.

Parlez-nous un peu de Mgr Marcel Lefebvre, qui fut le premier archevêque de Dakar de 1955 à 1962, puis supérieur précisément de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit ou Spiritains...

Exactement ! C'est Mgr Lefebvre (dont la photo est dans ce bureau) qui m'a confirmé. Je suis entré au petit séminaire de Ngazobil (à 120 kms d'ici sur la Petite-Côte) fondé au XIXème siècle, où a même étudié le président Senghor. Mgr Lefebvre avait une politique des vocations très ouverte pour promouvoir l'Eglise locale. J'ai directement bénéficié de cette politique puisque c'est, comme cela, que j'ai pu faire le petit séminaire, puis le moyen séminaire chez les Maristes à Dakar, avant d'entrer au grand séminaire. Sa motivation missionnaire était extraordinaire. Il avait le souci de la croissance de l'Eglise locale et nous lui sommes très reconnaissants pour tout ce qu'il a pu entreprendre pour implanter la mission chrétienne au Sénégal.

Il se trouve que, politiquement parlant, il avait peut-être des vues qui ne coïncidaient pas avec l'air du temps... Au début des indépendances, il a ainsi été remplacé en 1962 par Mgr Hyacinthe Thiandoum que le pape Paul VI élèvera plus tard à la dignité cardinalice et qui restera archevêque de Dakar pendant 38 ans, de 1962 à l'An 2000.

Vous inscrivez donc votre action dans celle de vos illustres prédécesseurs...

Le cardinal Thiandoum a beaucoup travaillé dans l'Eglise sénégalaise à promouvoir des relations apaisées avec le monde musulman dont il était très proche. Il avait ainsi de grands amis parmi les chefs religieux, n'hésitait pas à leur rendre visite, à saluer leur présence à l'occasion du pèlerinage national marial à Popenguine. Son successeur, le cardinal Théodore-Adrien Sarr (2000 – 2014) s'est ancré lui aussi dans cette tradition après avoir lui-même servi pendant plus de 25 ans comme évêque de Kaolack. J'ai donc des devanciers illustres que je salue pour le travail accompli et les résultats auxquels ils ont abouti : ils ont placé la barre très haut !

Quels sont les points forts de l'Eglise au Sénégal ?

C'est une Eglise modeste qui en a conscience, mais qui veut vraiment jouer sa partition. Par sa présence sociale à travers nos écoles qui sont réputées et bien connues par nos frères musulmans. A travers aussi le domaine de la santé : il y a un maillage du territoire par des dispensaires catholiques où nos religieuses de différentes congrégations font un travail reconnu par tous. Il y a aussi un travail fantastique sur le plan humanitaire et pour la promotion de la femme qui se fait au travers de la fondation Caritas. C'est une Eglise qui est proche des populations grâce aux différents services qu'elle rend, mais aussi – et c'est très important – témoin de sa foi. Entourés d'une immense majorité de musulmans, les chrétiens jouent parfaitement leur rôle et suivent les paroles du Christ qui a dit : « Vous êtes le sel de la terre, la lumière du monde». Je crois qu'ils donnent le témoignage de leur vie correcte et de leur sens du devoir.

"La pratique religieuse doit se vérifier dans notre manière d'être..."

Et ses points faibles ?

C'est de ne peut-être pas jouer individuellement davantage le jeu social. Nous avons une bonne éducation, mais nous restons peut-être trop enfermés dans notre milieu et n'allons pas suffisamment en dehors pour nous engager davantage sur les plans politique, économique et social. Les chrétiens sénégalais me paraissent trop timides et réservés. Ils devraient s'exprimer davantage. Cette Eglise a produit un président Senghor, Alioune Diop qui lança la revue Présence africaine, etc. On aimerait qu'il y ait plus d'individualités qui se lèvent.

Un autre défaut, c'est que nous sommes très cultuels : nous sommes de bons pratiquants, on va aux cérémonies et on va à la messe. Mais je crois que l'on doit davantage traduire la foi dans les gestes et dans le vécu. La pratique religieuse doit se vérifier dans notre manière d'être. Un musulman me disait : « la foi, c'est 5 % de pratique et 95 % de relations humaines ». C'est une belle formule qui montre qu'il y a encore des appels auxquels on doit répondre.

Quelles sont les exigences d'une nouvelle évangélisation ?

La première, c'est de promouvoir une relation profonde avec le Christ. Parfois, on a l'impression que nos fidèles sont religieux, mais pas suffisamment chrétiens. Il y a une relation à Dieu, mais y a-t-il vraiment une rencontre avec le Christ pour que ce soit le Christ qui forme et oriente toute ma vie ? Que ce soit le Christ qui vive en moi ? Car notre connaissance du Christ doit rayonner. Nous avons encore beaucoup à creuser pour vivre cette intimité avec le Christ. Cela s'appelle la conversion intérieure... Il faut passer du cultuel à la relation au Christ parce que la foi et la religion ne se confondent pas. Cela passe par une rencontre personnelle avec le Christ. Etre capable de vivre et de dire qui est Jésus-Christ pour moi.

Pour aller à la rencontre des périphéries, l'Eglise n'a-t-elle pas aussi besoin de moyens ?

Radio Espérance, que l'on peut capter en FM sur 95.2, est l'un de ces moyens. C'est une réponse concrète que les fidèles attendaient depuis longtemps dans le paysage médiatique du Sénégal. C'est une bonne radio qui est arrivée à son heure, mais qui doit encore faire beaucoup d'efforts en matière de contenu avec plus d'enseignements et plus de témoignages, plus d'échos sur la vie des communautés pour rendre plus audible et plus visible ce que dit et fait l'Eglise. C'est une radio qui a été créée dans un consensus entre des opérateurs économiques chrétiens et laïcs, comme M. Aimé Sène, et l'archidiocèse de Dakar. Moi, je crois beaucoup aux témoignages. Il ne suffit pas simplement d'interroger les pasteurs, mais il faut pouvoir rendre compte de ce que les gens vivent au jour le jour : comment être chrétien dans la société d'aujourd'hui.

Vous parliez de missionnaires, mais la vieille Europe n'est-elle pas devenue une terre de mission ?

L'archidiocèse de Dakar est jumelé avec le diocèse de Moulins, mais nous avons également des prêtres sénégalais en mission chez vous dans les diocèses de Pontoise, de Nevers et d'Evreux. Grâce à leurs missionnaires, les Européens nous ont aidés à rencontrer le Christ et à devenir chrétiens et si, aujourd'hui, nos prêtres sont sollicités en retour, nous sommes tout à fait ouverts à cette demande missionnaire. Tout en ayant pleinement conscience du travail qu'il y a encore à faire ici-même pour enraciner la foi.

"Au Sénégal, on ne peut pas être des chrétiens médiocres, ni tièdes"

Comment vit une Eglise catholique dans un pays à très grande majorité musulmane ?

Les responsables religieux des différentes confessions ont un rôle essentiel à jouer pour maintenir ce climat de bonne entente. Des gestes sont posés de part et d'autres et valent leur pesant d'or. Quand le Khalife de la Confrérie des Mourides prend sur lui de faire un geste vis-à-vis de moi en profitant de son  passage à Dakar pour m'envoyer une importante délégation et m'offrir un déjeuner, c'est un geste de considération qui a du sens.

J'ai effectué en retour une démarche à Touba pour aller lui dire merci. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problèmes car chaque religion, dans sa dynamique, est missionnaire et cherche à gagner des adeptes. Mais comment ne pas aller planter de la mauvaise herbe dans le champ du voisin ? C'est la question de l'ivraie. C'est le respect mutuel que l'on doit se porter, tout en étant ouvert à la grâce de Dieu qui peut appeler qui il veut quand il veut. En même temps que l'on doit éviter le prosélytisme, il faut rester ouvert à la grâce de Dieu. S'y ajoutent des questions pratiques comme la gestion des mariages avec disparité de cultes qui est une question pastorale assez difficile car une tradition dans le pays veut en effet que la femme suive la religion de son mari !

Si le Sénégal a été jusqu'à présent – Dieu merci – épargné par les attentats terroristes qui ont frappé ses pays voisins, comment ressentez-vous la « menace djihadiste » qui progresse dans toute l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique sub-saharienne ?

Nous sommes conscients que nous vivons dans un monde où progresse le « radicalisme ». Une sorte de chape pèse sur la population, une peur qui est liée au fait que notre sous-région est devenue une zone d'insécurité : personne ne sait d'où la menace peut venir. Nous savons aussi qu'il y a des « cellules dormantes », même si nous ne savons pas de quelles actions elles peuvent être capables. Quand les autorités de l'Etat nous invitent à la vigilance, c'est un langage que nous prenons au sérieux.

Peut-on parler d'une « islamisation rampante » du pays ? Quels en sont les signes manifestes ?

La multiplication des écoles coraniques par exemple dans la région de Saint-Louis. L'Islam me paraît être une religion très organisée. Et,de ce point de vue là, avec la croissance démographique qui lui est largement favorable par le biais de la polygamie, nous faisons face à un accroissement de fait de l'Islam socialement parlant.

Religieusement parlant, il y a une sorte de ferveur pratique qui va se déployer et se manifester en terme d'écoles coraniques, d'enseignements à travers les médias, de déclarations religieuses qui peuvent être parfois très démonstratives. Au Sénégal, on vit à longueur de journée dans une ambiance musulmane et il ne peut en être autrement. Je ne sens pas de menaces particulières vis-à-vis de la communauté chrétienne, mais je ressens cela en revanche comme un appel à la communauté chrétienne d'être encore qualitativement meilleure. C'est un appel profond à vivre notre foi : on ne peut pas être des chrétiens médiocres ni tièdes.

Les religieuses notamment, sont très présentes dans l'enseignement, la santé et les œuvres de charité...

Une cinquantaine de congrégations religieuses s'investissent en effet dans tous les aspects de la vie. Je suis ainsi très sensible à ce que font depuis les années cinquante les franciscaines, qui ont une pouponnière où elles accueillent des orphelins ou des enfants abandonnés. C'est un service qui dure dans le temps et qui a déjà sauvé des générations et des générations d'enfants ! Quand vous voyez leurs dispensaires, ce que les gens apprécient d'abord c'est la qualité de l'accueil, avant même les soins. Cette relation humaine attentive aux personnes est irremplaçable. Voilà l'Evangile vécu comme on le lit dans Matthieu 25 : « J'étais malade et vous m'avez soigné, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, j'étais affamé et vous m'avez donné à manger... ». Tous ces services de l'Eglise catholique font un grand bien et n'ont pas de prix.

Avez-vous un message d'espoir pour l'Afrique, confrontée elle-même à bien des maux comme la faim, la corruption, la désertification ou les changements climatiques ?

Le message pour l'Afrique, c'est Jésus-Christ, hier, aujourd'hui et toujours. Jésus-Christ qui libère les cœurs et les esprits. Jésus-Christ qui nous fait connaître le Dieu d'amour qui veut notre bien. Cette connaissance de Jésus-Christ est irremplaçable. Je souhaite à l'Afrique de mieux connaître le Christ qui seul peut libérer l'Afrique.

Cette interview exclusive est parue dans l'hebdomadaire « France catholique » le 17 novembre 2017

www.france-catholique.fr

Bruno Fanucchi

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