Côte d’Ivoire : Le rêve brisé des « Houphouëtistes »

Côte d’Ivoire : Le rêve brisé des « Houphouëtistes »

Le Parti unifié (autour de l’idéal de paix et de démocratie) pour sceller l’union sacrée des héritiers d’Houphouët-Boigny est désormais amputé d’un de ses principaux membres. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié a décidé de faire cavalier seul à la présidentielle de 2020. Ou d’envisager une nouvelle coalition sans son principal allié du Rassemblement des Républicains (RDR) de Alassane Ouattara au pouvoir.

C’est, en effet, le mercredi le18 mai 2005, dans le très chic hôtel Royal Monceau, à Paris que Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et deux autres leaders de l’opposition avaient signé l’acte de naissance du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Objectif : battre dans les urnes Laurent Gbagbo à la présidentielle du 31 octobre 2005. L’idylle politique aura duré 13 ans.

La clause originelle de cette alliance consistait à soutenir, tous azimuts, « le mieux placé des signataires » qualifié pour le second tour sachant que chaque parti est libre de présenter son propre candidat au premier tour. Usant de subterfuges et d’artifices, le pouvoir Gbagbo, très chancelant, avait jonglé avec le calendrier électoral jusqu’à s’octroyer un second quinquennat sans passer par l’épreuve des élections.

Le RHDP ne va tester son système d’alliance qu’en octobre 2010 où Alassane Ouattara, alors qualifié pour le second tour, va effectivement bénéficier du report des voix de ses alliés pour évincer au bout de dix ans Laurent Gbagbo du pouvoir. La crise postélectorale qui s’en est suivie a été aussi l’occasion de tester la solidité de l’alliance des Houphouëtistes engagés dans la bataille de la reconquête du pouvoir.

Une fois n’est pas coutume. A la présidentielle de 2015, Henri Konan Bédié, alors président du présidium du RHDP, avait appelé depuis sa ville natale – le fameux « appel de Daoukro » – à la candidature unique de Alassane Ouattara. Le chef de l’Etat sortant s’était donc vu accorder, par le truchement de cette alliance, un second mandat. De toute évidence, personne ne doutait de l’existence d’un accord secret passé entre Ouattara et Bédié. La contrepartie, selon des sources proches du plus vieux parti politique ivoirien, serait qu’en 2020 le RHDP présente une candidature unique et que celle-ci soit issue des rangs du PDCI. 

Les deux frères ennemis de nouveau face-à-face

Bien entendu, le camp Bédié attendait impatiemment son tour de passe-passe jusqu’au jour où Alassane Ouattara avait laissé entendre dans une interview accordée au magazine « Jeune Afrique » parue en juin dernier qu’il n’excluait pas de briguer un 3ème mandat parce que la nouvelle constitution désormais le lui autorisait. Edulcorant son propos, il avait tout de même indiqué que sa décision dépendrait de la « situation de la Côte d’Ivoire » dont la stabilité et la paix passent avant tout, y compris ses propres principes.

Dans le camp de son allié, le message est perçu comme une trahison de trop. Il n’est plus question de passer le flambeau du pouvoir au PDCI au nom d’une promesse politique tenue dans un contexte de grâce. L’on était encore loin d’imaginer que les contradictions internes jugées mineures entre les deux ténors, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, auraient eu raison de cette belle alliance qui a fortement contribué à stabiliser la Côte d’Ivoire.

Dans le premier cercle de Bédié, l’on parle d’une fourberie. « Le diable est dans les détails », dit-on. « En sept années d’exercice du pouvoir de son jeune frère, Bédié n’avait jamais essuyé autant de revers », observent certains. « Quand les relations étaient encore au beau fixe, Bédié était écouté, considéré, consulté, choyé, et surtout son avis comptait beaucoup », renchérissent d’autres. 

De toute évidence, la remise en cause de la promesse de voir le PDCI conduire la candidature commune RHDP à la présidentielle de 2020 – la présidence au PDCI et la vice-présidence au RDR – pourrait justifier le retrait inattendu du PDCI du parti unifié annoncé le 8 août dernier par Bédié à la sortie de son tête-à-tête avec Alassane Ouattara

Malgré sa grande expérience politique, Bédié apprenait-là, à ses dépens, que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Comme tous les témoins de ce deal politique, pour l’heure encore silencieux par sagesse. Mais, il arrivera un moment où les langues finiront par se délier pour laisser éclater la vérité. 

Henri Konan Bédié a-t-il vraiment                          mesuré les conséquences de sa décision ?  

Pendant les sept années de grâce présidentielle, le partage du pouvoir n’a pas été aussi équitable, selon les partisans de Bédié. Pis, d’aucuns pensent que le camp Ouattara a beaucoup à se reprocher sur la gestion des affaires de l’Etat.

Ils se réfèrent au dernier rapport de l’Union européenne qui tire la sonnette d’alarme sur la situation sociopolitique et économique de la Côte d’Ivoire à l’approche des joutes électorales de 2020. Les ambassadeurs de l’UE pointent, en effet, du doigt « les pratiques anti-démocratiques, la dérive autoritaire, la corruption, les flagrantes inégalités sociales, la mauvaise répartition des fruits de la croissance, les largesses financières accordées aux cercles du pouvoir, l’enrichissement illicite, les failles politiques importantes de la reconstruction (…) »

Ce rapport très corsé contre le régime Ouattara est une aubaine pour l’opposition qui s’en servira à satiété au moment de la campagne présidentielle. 

En abandonnant le navire RHDP, le PDCI se désolidarise de Ouattara. C’est justement au moment où l’actualité politique se polarisait sur la personne de Bédié que Alassane Ouattara a pris une ordonnance pour amnistier 800 prisonniers politiques parmi lesquels figure l’ex-Première dame de Côte d’Ivoire, Simone Ehivet Gbagbo dont l’époux est toujours détenu à la prison de la CPI à La Haye.

Jugé très habile, ce geste politique vient décrisper, un tant soit peu, le climat sociopolitique et donne lieu à une redistribution des cartes dans le pays. Bien entendu, Ouattara est le premier à tirer profit de cette nouvelle donne. Il met ainsi fin au crédit de sympathie que le camp de l’opposition, notamment le Front populaire ivoirien (FPI) privé de ses chefs charismatiques, vouait à Bédié le sage.     

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La mise en liberté de Simone Gbagbo pourrait tout changer. L’éventualité de sa candidature à la présidentielle de 2020 limiterait les chances de la nouvelle coalition que Henri Konan Bédié espère bâtir pour gagner les élections. A moins que l’ex-Première dame ne renonce à tout, le temps pour elle de profiter de sa liberté après sept années passées derrière les barreaux.

« C’est un vieux souhait qui va bientôt se réaliser »

Vraisemblablement, le camp Bédié y travaillait discrètement avant que l’ancienne Première dame ne soit amnistiée ou, du moins, avant que le divorce ne soit définitivement consommé entre le PDCI et le RDR le 8 août dernier comme le démontre l’accélération des évènements. Le lendemain de l’échec de la rencontre de la dernière chance entre les deux ténors du RHDP, le président du FPI officiel, Pascal Affi N’Guessan, était reçu, avec les honneurs, à la résidence de Bédié à Daoukro.

A sa sortie d’audience, il déclarait, sans coup férir, que la nouvelle alliance PDCI-FPI en devenir, « c’est un vieux souhait qui va bientôt se réaliser ». Car, observait-il, en « Côte d’Ivoire, il y a déjà eu deux alliances, FPI-RDR et RDR-PDCI. Il reste donc une dernière alliance, FPI-PDCI, pour que la boucle soit bouclée et je crois que le moment est arrivé .

Cette nouvelle plateforme avec « toutes les forces politiques du pays », comme le souhaite Henri Konan Bédié, va constituer la nouvelle alternative et, pourquoi pas la future nouvelle majorité. Mais, à ce jour, ce dernier ne s’est pas encore prononcé sur l’éventualité de sa propre candidature d’autant plus que la nouvelle Constitution qui consacre la 3ème République de Côte d’Ivoire, lui en donne droit. A 85 ans, Henri Konan Bédié pourrait conduire la liste de cette nouvelle alliance politique avec le FPI. 

Dans cette nouvelle configuration, Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, dont les relations avec Ouattara et son premier cercle sont des plus exécrables, serait-il tenté de rejoindre la nouvelle coalition en construction ? Difficile de le savoir. En revanche, on convient que dans l’hypothèse de se retrouver sur une liste commune avec Henri Konan Bédié, et soutenue par le FPI, constituerait  le scénario parfait d’une victoire certaine de la nouvelle coalition.

Cela dit, pour atteindre cet objectif, il y a encore beaucoup de travail à accomplir. En l’occurrence, la réconciliation entre les deux branches du FPI. L’une dirigée par Pascal Affi N’Guessan et l’autre par Abou Dramane Sangaré, un des plus fidèles de Laurent Gbagbo. Depuis sa sortie de prison, l’ex-Première dame y travaillerait pour que les deux morceaux du Front populaire ivoirien soient recollés pour les besoins de la cause. 

Clément Yao

COMMENTAIRES