Mariam Dao, Présidente de « Solidaridad » : « Que les Africaines prennent enfin leur destin en main »

Mariam Dao, Présidente de « Solidaridad » : « Que les Africaines prennent enfin leur destin en main »

Mariam Dao, Consultante internationale


Connue pour son engagement en faveur du leadership des femmes, Mariam Dao (née Gabala) est diplomée de l'Ecole de Commerce d'Abidjan, d'HEC Paris, d'HEC Montréal et de l'ISCE de Barcelone. Financier de formation et de profession, elle a consacré toute sa vie au développement des femmes du milieu rural. Entretien.

Propos recueillis à Abidjan par Bruno Fanucchi

Aujourd'hui consultante internationale, Mme Mariam Dao nous parle de son expérience professionnelle et des différentes organisations qu'elle préside.

Qu'est-ce qui vous a donné le goût de la finance ?

Mariam Dao :

Mon histoire est quelque peu particulière car j'ai fais des études de finances et j'étais destinée à travailler dans la banque, mais j'ai refusé car je voulais plutôt travailler dans le développement : j'avais envie de rendre la finance un peu plus pratique. Quand vous êtes jeune, vous avez un idéal qui vous porte. J'ai donc commencé dans une institution de formation, puis j'ai travaillé comme consultante pour la BAD (Banque africaine de développement) et la Banque mondiale. Très jeune, j'ai été chef de mission avec un vaste projet qui couvrait huit pays d'Afrique et qui avait pour objectif d'identifier les problèmes financiers de ces entreprises là et de proposer des méthodes de redressement. Ce qui m'a fait un peu parcourir l'Afrique jusqu'au Zaïre. Pour le BIT (Bureau international du Travail), j'ai beaucoup travaillé pour rendre les femmes entrepreneures un peu plus performantes en Afrique de l'Ouest.

J'ai fais ainsi un important travail de consultante, puis je me suis fixée dans une institution qui faisait du financement des personnes les plus démunies. Dans un travail concret qui pouvait mettre ensemble le conseil et le financement.

Quand vous êtes dans le conseil, vous encadrez des femmes qui n'arrivent pas à avoir le financement nécessaire à leurs activités ou projets et c'est comme une symphonie inachevée. Avec cette organisation, je les accompagnais et je les finançais. Là, je me suis épanouie, c'est pourquoi j'y suis restée 20 ans. C'était Oiko Crédit, une institution dont le siège est aux Pays-Bas et dont j'ai développé le portefeuille sur toute l'Afrique en installant des bureaux nationaux au Ghana, en Gambie, au Sénégal, au Mali, au Bénin et un bureau régional en Côte d'Ivoire.

Mais vous vous êtes aussi occupée des simples femmes du marché...

Mon but était de rendre la ressource financière disponible pour les plus démunies, cela m'a poussée à me battre et à trouver des solutions pour financer les femmes du marché et leur coopérative pour qu'elles construisent leur marché. Mon objectif était de rendre la finance accessible à ces femmes là qui– comme leur présidente - se sont bien souvent arrêtées au CE2 et leur permettre de rembourser. Il fallait donc revoir la manière d'évaluer le risque pour ce genre de personnes. Quand on veut évaluer le risque de façon classique, on passe à côté d'un certain de gens qui, à l'image de ces femmes, ne répondent pas à tous les critères de sélection et sont en quelque sorte « hors catégorie ».

«  la force de notre pays réside

dans l'entrepreneuriat féminin »

Et aujourd'hui que faites-vous ?

J'ai mon cabinet de consulting. J'ai démissionné car je voulais changer de cadre et m'investir dans cette problématique du financement des femmes du milieu rural. Aucun système n'était adapté à ces femmes là : elles ne demandaient rien de gratuit, mais elles demandaient simplement qu'on leur trouve des solutions technologiques et le financement nécessaire pour pouvoir entrer dans la modernité. Je voulais faire aussi de l'accompagnement d'entrepreneurs ivoiriens (hommes comme femmes) qui essaient d'émerger car la force de notre pays réside dans l'entrepreneuriat. Je suis éblouie tous les jours par les initiatives de ces femmes, par toutes ces jeunes filles de la diaspora qui reviennent au pays et qui foisonnent d'idées nouvelles et de projets, et auxquelles il faut ouvrir des portes et tendre des passerelles.

N'êtes-vous pas également engagée dans une action humanitaire et solidaire ?

Je continue en effet de travailler avec le milieu rural grâce à  l'organisation « Solidaridad », que je préside au plan international et dont l'idée maîtresse est de permettre aux paysans de vivre de façon décente. Les producteurs de café, par exemple, doivent pouvoir s'organiser comme des entrepreneurs pour palier aux fluctuations des cours. Et, pour cela, que faut-il faire ? On leur apprend les meilleures pratiques et à diversifier leurs cultures.

Solidaridad est une organisation mondiale : on a un bureau régional au Ghana et un bureau national ici, en Côte d'Ivoire. On s'intéresse aussi aux mines dans certains pays comme l'Afrique du Sud et le Ghana, où il existe beaucoup de miniers individuels. Il faut leur permettre de rentrer dans le cadre légal et leur permettre de travailler dans de bonnes conditions de sécurité et de santé. Et empêcher surtout qu'ils travaillent dans la clandestinité.

Vous êtes aussi une personnalité en vue de la société civile...

Dans la société civile, je milite en effet pour la promotion des femmes, je milite pour une Afrique consciente et je milite aussi pour que les Africains se décident enfin à bâtir leur continent parce que je pense que l'Afrique peut être le continent leader à l'horizon 2050. Ce que l'on nous présente souvent comme des tares de l'Afrique peuvent se révéler être en fait des opportunités sur lesquelles on peut bâtir pour se développer, seulement si l'on accepte de réinventer les choses à notre propre profit. Je préside ainsi « Stand Up Africa », un mouvement de réflexion dont la philosophie se veut pragmatique : déconstruisons ce que l'on appris et construisons sur ce que nous sommes, nous autres Africains, pour mieux exister. Je pars et je parle de mon expérience. Banquier, je me dis : si nous voulons continuer à financer nos projets comme nous le faisons actuellement, nous n'allons jamais atteindre la cible... Revisitons donc notre manière de regarder et d'approcher ces personnes là. Et cela va donner du résultat.

« En Afrique, 49 % des gens vivent

encore en-dessous du seuil de pauvreté »

La micro-finance vous semble donc parfaitement adaptée à l'Afrique ?

Si la micro-finance est ce qu'elle est aujourd'hui, c'est parce qu'elle n'a pas été inventée par des banquiers, mais par des personnes qui cherchaient à résoudre un problème précis. Nos problèmes, on peut les résoudre, mais il faut accepter de réinventer les choses. Si on n'accepte pas de réinventer, on n'entrera jamais dans le canevas qui nous a été donné car on n'a pas les mêmes standards économiques. Si la micro-finance marche chez nous, c'est parce que le sytème est adapté à nos populations. En Europe, 1,3 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, il y a environ 10 à 13 % de pauvres et le reste c'est la classe moyenne. Et la banque s'adapte à la classe moyenne : ils sont tous éduqués et il y a environ 90 % d'alphabétisation. Si vous prenez notre pyramide à nous, en Afrique, vous avez 49 % de gens qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté et une classe moyenne encore assez réduite : le système bancaire ne marchera jamais. C'est difficile car là où fourmillent et foisonnent les bonnes idées et les initiatives économiques, c'est dans ces 49 %, mais si vous les voyez seulement comme des gens qui n'ont pas d'argent... Ils ont des idées et peuvent faire beaucoup de choses. Si nous voulons que cela marche, il faut donc un « système bancaire » qui s'adapte au financement de leurs activités pour leur permettre d'innover et d'entreprendre. Voilà pourquoi la banque ne marche pas... si l'on continue de faire les choses de façon classique.

C'est sur cette thématique que j'essaie maintenant de travailler avec des organisations comme « Solidaridad » ou « Stand up Africa ». C'est un mouvement de réflexion qui fait des propositions innovantes pour que l'Afrique soit le continent leader à l'horizon 2050. Dans ce but, chacun peut agir dès à présent. Si ma commune est sale, je peux agir en regroupant les riverains pour leur dire : faisons quelque chose sans attendre que tout vienne de l'Etat, des administrations, de la municipalité car si l'on attend que tout vienne des autres on ne s'en sortira jamais !

Prenons notre destin en main : l'Afrique et les Africaines doivent prendre leur destin en main car chacun doit pouvoir agir à son niveau.

« Permettre aux femmes du milieu rural

de prendre en marche le train du digital »

Parlons un peu de vous... Etes-vous une femme comblée ?

Mère de cinq garçons (âgés de 38 à 21 ans), je suis une femme comblée, mais je serai encore davantage comblée si l'on arrive à trouver une solution pour les femmes du milieu rural. Il est impensable (et je ne l'accepte pas) que l'on soit au XXIème siècle et que nos braves femmes continuent d'arroser chaque pied de tomates, d'aubergines ou de gombos à la main avec de petits arrosoirs ! Cela n'a pas de sens. On est à l'heure du digital. Il faut trouver un moyen pour leur permettre d'accèder à des systèmes d'irrigation et d'avoir le financement pour le faire. Ces femmes là ne demandent rien gratuitement. J'ai travaillé 20 ans avec elles : elles savent que leur dignité ne passe pas par ce qui est gratuit. La micro-finance – qui peut encore marcher pour financer les femmes du milieu rural qui sont dans le petit commmerce - a atteint ses limites avec elles car pour financer un système d'irrigation qui va prendre  2 ou 3 ans pour être remboursé, ce n'est pas possible car elles-mêmes ont des ressources courtes...  et ne peuvent se permettre de le faire. Elles peuvent même faire des cultures sous serre s'il le faut, mais il faut qu'elles aient accès à la ressource non seulement financière, mais technologique pour le faire. Avec « Solidaridad », on est en train de développer un outil digital pour gérer sa plantation (sol, engrais, superficie, etc) du portable, mais si vous continuez d'arroser à la main... Il faut donc leur permettre de prendre en marche le train du digital.

En 2050, un quart de la population vivra en Afrique, et ce n'est pas en continuant d'arroser à la main que l'on va pouvoir la nourrir. Il faut commencer à regarder autre chose que les cultures de rente et je suis d'accord avec le président de la BAD, Akinwumi Adesina, lui-même ancien ministre de l'Agriculture du Nigeria, qui disait : « Aucun pays ne peut être émergent s'il n'est pas capable de nourir sa propre population ». Quelle lucidité ! On court tous derrière l'émergence, mais on ne peut pas atteindre l'émergence si on a un peuple qui meurt de faim, si on a des terres arables que l'on ne cultive pas. En Côte d'Ivoire, par exemple, il y a encore beaucoup à faire pour arriver à l'émergence. Car l'émergence, c'est une résultante, ce n'est pas le taux de croissance.

« La religion est une force immense

qu'il faut canaliser pour le développement »

Y a-t-il aujourd'hui un véritable mouvement de retour au pays des jeunes de la diaspora africaine ?

Autrefois, nos enfants quand ils allaient étudier en France ou ailleurs, ils ne revenaient pas... Maintenant, ils reviennent et ils disent : il faut que l'on se mouille et que l'on mette nos qualités et nos compétences au service de nos pays . Beaucoup se disent finalement : on se sent mieux ici que là-bas, pour la famille et l'éducation des enfants, on vit mieux même si on gagne moins.

En dehors de votre intense activité professionnelle, quelle est votre passion ?

J'ai en réalité deux passions : la marche d'abord. J'éprouve un grand plaisir à marcher car cela m'aère l'esprit et me permet de me reconnecter à la nature très tôt le matin. Pour être en harmonie avec la nature, je marche 4 ou 5 kms presque tous les jours quand il ne pleut pas. La marche alimente la réflexion et vous oblige à être avec vous-même.

Ma seconde passion, qui va vous paraître iconoclaste, c'est la religion. Et mêmes les religions, qu'elles soient chrétienne ou musulmane. J'ouvre une parenthèse : mon mari est musulman et moi je suis chrétienne, on a eu nos cinq enfants et l'on vit très bien ensemble. Je pense que la religion est une force immense qui court en Afrique et cette force on peut la canaliser pour accélérer le développement du Continent. C'est une force qui crée l'Espérance dont les Africains ont besoin et qu'ils n'ont pas autrement. Et cette force là, quand on ne l'utilise pas à bon escient ou quand on la laisse divaguer et dériver, cela nous donne Boko Haram et consorts. Mais c'est une force sur laquelle on peut bâtir pour que convergent les énergies nécessaires au développement du continent. J'en suis profondèment convaincue. Quand je regarde l'histoire de l'Europe ou des Etats-Unis, la religion a joué un rôle important pour canaliser les forces que vous voyez. Et je me dis : si nous ratons cela, nous allons rater le coche. La religion a pour objet le salut personnel, mais le salut se mérite dans une communauté et je ne connais pas une seule religion qui ne demande de travailler pour le bien être de la communauté. Malheureusement, nos religions pour l'instant – devant le niveau de pauvreté - mettent l'accent dans nos pays sur le salut personnel, mais que représente ton bien-être personnel dans un océan de misère ? En nous appuyant sur la Foi et sur le besoin de travailler pour la communauté, on peut construire quelque chose de grand.

L'idée du micro-crédit a d'ailleurs été conçu à l'origine par le Conseil oecuménique des Eglises avec une idée simple, celle des Pères fondateurs : arrêtons les dons qui ne respectent pas la dignité des gens et essayons d'apporter de la ressource autrement.

Il ne faut pas se voiler la face : la religion est une force active en Afrique et il faut pouvoir la canaliser pour le bien du Continent. Si on réussit cela, on ne pas même pas attendre 25 ans... Il faut que les Africains aient cette force là : une force dans un avenir commun. Au lieu de rentrer dans les guerres de religion, il faut une synergie des religions pour le développement du Continent.

www.solidaridadnetwork.org

Bruno Fanucchi

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