Pour arracher un 3ème mandat, Alpha Condé et Ouattara jouent les « apprentis-sorciers »

Pour arracher un 3ème mandat, Alpha Condé et Ouattara jouent les « apprentis-sorciers »

Le chef de l'Etat guinéen Alpha Condé ( à gauche) réélu pour un 3ème mandat en violation de la constitution de son pays et son homologue ivoirien, Alassane Ouattara ( à droite) qui lui emboîte le pas pour briguer un 3ème mandat anticonstitutionnel le 31 octobre prochain. 


En Guinée comme en Côte d'Ivoire, l'élection présidentielle remet le feu aux poudres. Mais les opposants aux Présidents sortants ne veulent plus s'en laisser compter, appellent à la « désobéissance civile » et organisent la résistance de manière pacifique. Ce bras-de-fer ne fait que commencer.

Par Bruno Fanucchi

Les élections sont devenues une malédiction en Afrique et le pire des scénarios que les observateurs les plus sérieux redoutaient depuis de longues semaines se déroule désormais sous nos yeux : en Guinée depuis le scrutin du 18 octobre et demain en Côte d'Ivoire avec le scrutin de samedi prochain 31 octobre.

En s'accrochant à leur troisième mandat, qu'ils veulent arracher coûte que coûte, en dépit de leurs Constitutions respectives, Alpha Condé à Conakry et Alassane Ouattara à Abidjan ont joué aux « apprentis-sorciers » et remis le feu à leurs pays respectifs. Ils en porteront la très lourde responsabilité devant leurs peuples et devant l'Histoire. Car ce scénario redouté et annoncé s'écrit aujourd'hui en lettres de sang !

Ils auront beau être officiellement « réélus » à l'occasion de scrutins sans doute truqués de A à Z, ce troisième mandat ne sera pas de tout repos car les peuples n'acceptent plus d'être ainsi trompés et « baladés » par la propagande officielle, avec la complicité d'organisations internationales ou sous-régionales qui, poliment, détournent les yeux pour ne pas voir la cruelle réalité.

A Conakry, la CENI (Commission électorale nationale indépendante) a proclamé samedi 24 octobre les résultats en annonçant la victoire du Président sortant Alpha Condé avec 59,49 % devançant largement son éternel opposant Cellou Dalein Diallo qui ne recueille que 33,50 % des voix. « Nous allons protester contre ce hold-up électoral par la rue », a d'ores et déjà prévenu le leader de l'UFDS (Union des forces démocratiques de Guinée) dans une déclaration enregistrée chez lui, où il se dit « séquestré » par les autorités, et largement diffusée sur YouTube et les réseaus sociaux, en dépit des coupures occasionnelles d'internet dans le pays.

« Dans ce combat, évitons de suivre Alpha Condé dans l'ethnicisation du conflit qui n'est que politique. Le Droit et la victoire sont de notre côté », a souligné l'ancien Premier ministre (2004-2006), en appellant les forces de l'ordre à défendre et à protéger tous les Guinéens alors qu'une véritable chasse aux sorcières est lancée contre ses partisans dans plusieurs quartiers peuls de la capitale.

Une « fraude massive organisée » en Guinée

« Et nous allons quand même saisir la Cour constitutionnelle sans trop nous faire d'illusions », a cependant ajouté Cellou Dalein Diallo qui avait pris les devants en revendiquant dès lundi dernier 19 octobre la victoire avec 53 % des voix sur la base des résultats recueillis par ses représentants dans les 38 régions administratives du pays et dénonce aujourd'hui clairement une « fraude massive organisée pour permettre le passage en force du 3ème mandat ! ».

A 82 ans, Alpha Condé, qui briguait un 3ème mandat désormais de 6 ans, n'a cessé de répéter durant toute la campagne : « Je ne suis pas un dictateur (…) Pourquoi serai-je le seul à n'avoir pas le droit d'effectuer un 3ème mandat ? ». Avec les résultats officiels que lui a octroyé la CENI, il peut donc se dire satisfait, quitte demain à faire tirer sur le peuple et les Guinéens qui contesteraient sa victoire arrangée.

A Abidjan, c'est un scénario à l'identique que prépare soigneusement pour la semaine prochaine le clan Ouattara qui, dans cette dernière ligne droite, fait désormais feu de tout bois.

Même s'il a provisoirement suspendu la campagne du RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix) et proclamé trois jours de deuil national à la suite la mort subite – et plus qu'étrange (certains parlent même d'empoisonnement !) – par arrêt cardiaque vendredi de Sidiki Diakité, son ministre de l'Administration territoriale et de la Décentralisation après avoir été ministre de l'Intérieur et de la Sécurité, Alassane Ouattara est prêt à tout pour l'emporter samedi prochain dès le premier tour par « Un coup KO ! », comme il ne cesse de le répéter.

Le chef de l'Etat ivoirien, qui n'a pas eu un mot de compassion pour les dizaines de morts de ces derniers jours en Côte d'Ivoire, a bien sûr rendu hommage à ce « grand serviteur de l'Etat » qualifié de « collaborateur compétent et loyal ». C'est ce dernier qui avait tenté pourtant ces derniers jours de renouer le dialogue avec les leaders de l'opposition pour essayer de trouver une issue pacifique à la crise politique qui s'annonce dramatique, pour ne pas dire sanglante.

« L'heure est au combat

contre les Présidences à vie »

Dans une interview surréaliste accordée à l'envoyé spécial du « Monde », le Président ivoirien affirme sans rire : « Je me présente contre ma volonté, ce n'est pas un plaisir (…) J'avais une obligation citoyenne et personnelle d'être candidat ». Et Ouattara de s'assoir sur la Constitution ivoirienne en prétendant une nouvelle fois que « la Constitution ne m'interdit pas d'être candidat » bien qu'il ait dit expréssement le contraire lors de son adoption par référendum en novembre 2016. Et ADO de prévenir : « Après l'élection, je modifierai la Constitution pour balayer tous ces gens-là » en désignant la cohorte de ses opposants.

Car Ouattara, qui semble bien avoir érigé le « mensonge » en méthode de gouvernement, se croit désormais tout permis, en maître absolu de la Côte d'Ivoire, décidant de tout comme le « Roi Soleil », avec droit de vie ou de mort. Il est à la fois juge et partie, annonce qu'il va modifier la Constitution et promet par exemple la prison à vie pour Guillaume Soro. « Pour lui, ce sera la prison, assène-t-il. Il n'y a aucun doute là-dessus. Il mérite la prison à perpétuité pour ce qu'il a fait (…) Il y avait une organisation en vue d'effectuer un coup d'Etat ».

Celui-ci fut « miraculeusement » découvert comme par enchantement et monté en épingle à la veille de Noël dernier, le jour même où l'ancien Président de l'Assemblée nationale, candidat déclaré à l'élection présidentielle de ce mois d'octobre 2020 rentrait à Abidjan pour lancer sa campagne électorale !

Un mandat d'arrêt international fut alors lancé par le pouvoir ivoirien, dont l'intéressé n'a jamais reçu notification dix mois après. Ce qui – là encore – est pour le moins étrange. Ce procès en sorcellerie fait à son ancien allié politique, sans lequel il ne serait jamais arrivé au pouvoir en avril 2011, paraît bien cousu de fil rouge.

Mais Ouattara, qui visiblement panique et s'affole à l'approche de l'échéance électorale, n'est plus désormais que dans l'excès, l'invective à outrance et la menace... Comme s'il pressentait que son régime est à bout de souffle. Même s'il prétend, comme pour s'en convaincre, lui-même, dans cette même interview au « Monde » : « Je suis en pleine santé. Bédié a presque dix ans de plus que moi et il veut être élu. A mon âge (78 ans), je peux faire deux mandats sans souci, mais ma volonté est de trouver lors de ce mandat une personnalité consensuelle » pour me succèder.

L'ennui – et c'est bien la réalité – c'est que tous autour de lui démissionnent, l'abandonnent, sont arrêtés, poursuivis, menacés exilés ou tout simplement rappelés à Dieu, comme Amadou Gon Coulibaly ou Sidiki Diakité !

En exil à Paris, Guillaume Soro (que Ouattara rêve de mettre en prison à tout jamais !) relève cependant le défi, en assurant une nouvelle fois ce dimanche : « Il n'y aura pas d'élections le 31 octobre en Côte d'Ivoire ». Et le leader de GPS (Générations et Peuples solidaires) de twitter : « Peuples afrticains, l'heure est au combat contre les Présidences à vie. Toutes les forces vives doivent s'impliquer. Il s'agit de mettre fin aux dictatures sur le Continent. Notre génération ne doit pas être complice de la forfaiture ».

Et Soro d'ajouter : « Mobilisez vous sur le terrain. On doit montrer à la communauté internationale que le seul problème de la Côte d'Ivoire, c'est Alassane Ouattara. Tant qu'il sera en Côte d'Ivoire, il n'y aura pas de paix  (…) Alassane m'a déclaré la guerre, mais dîtes lui : jamais je ne lâcherai !».

Une Mission déshonorante

pour la CEDEAO à Abidjan

Dans une interview de complaisance accordée à Paris-Match, parue le 24 septembre dernier, il y a un mois, Ouattara déclarait déjà tout de go : « Soro et Gbagbo ont été écartés car leurs casiers judiciaires n'étaient pas vierges. Leurs candidatures relèvent de la provocation ». Avant d'ajouter : « La place de Guillaume Soro n'est pas dans la campagne électorale, mais en prison ».

Ce dimanche, dans une interview accordée cette fois-ci au JDD, Ouattara remet ça car il en fait visiblement une idée fixe : « Ah non, lui, il va aller en prison ! (…) Il ne peut pas échapper à la justice ». Et il balaie d'un revers de manche l'appel à la « désobéissance civile », lancé le 10 octobre dernier par l'ex-Président Henri Konan Bédié, et le « boycott actif » de l'élection par l'ensemble de l'opposition qui exige toujours que Ouattara retire sa candidature « anticonstitutionnelle » pour participer au scrutin. Car, affirme-t-il, « l'opposition veut un coup d'Etat, une insurrection populaire ! Ils tablent sur cela depuis le début ».

Sur le site de ce même média français, l'ancien Premier ministre Pascal Affi N'Guessan, président du FPI dont la résidence privée à Bongouanou (chef-lieu du Morounou, à 200 kms au nord d'Abidjan) a été entièrement dévastée par un commando qui l'a incendiée le 17 octobre, prévient : « Nous ne reconnaîtrons pas l'élection d'Alassane Ouattara » puisque sa candidature est « anticonstitutionnelle ». Et il accuse le pouvoir d'utiliser des « escadrons de la mort » pour semer la terreur : « Ce sont des gens n'appartenant ni à la police ni à la gendarmerie, souvent des ex-rebelles qui n'ont pas été intégrés dans l'armée. Le pouvoir les encadre et les utilise, comme des escadrons de la mort, pour de sales besognes ». De nombreux miliciens encadrant les « microbes » sont actuellement à l'oeuvre dans le pays depuis le début des violences et les premiers morts à la mi-août.

Un dernier mot sur la CEDEAO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest) qui, en Guinée comme en Côte d'Ivoire, vient de perdre définitivement toute crédibilité. Leur mission d'observation du scrutin du 18 octobre en Guinée a été un véritable « simulacre » pour dire que tout s'était bien passé, plusieurs membres de cette délégation ayant été surpris dans un grand hôtel de Conakry à se partager une importante somme d'argent... comme si certains d'entre eux avaient été « achetés et corrompus par le pouvoir d'Alpha Condé », comme l'en accusent ouvertement certaines personnalités sur les réseaux sociaux.

En Côte d'Ivoire, la mission de médiation de la CEDEAO menée du 17 au 19 octobre a tourné court et a donné lieu à un communiqué final aux conclusions surréalistes qui ont fait les choux gras et ouvertement le jeu du pouvoir à Abidjan.

Avec l'art consommé d'inverser les rôles, ce communiqué de fin de Mission stipulait en effet dans son point 11 : « La Mission a exhorté les candidats à la présidentielle du PDCI et du FPI à reconsidérer sérieusement la décision de boycotter l'élection et l'appel à leurs partisans à se lancer dans la désobéissance civile pour protester contre le processus électoral, mais plutôt à oeuvrer de façon sérieuse pour parvenir à un consensus sur le processus électoral puisqu'ils pourraient ne pas être en mesure de contrôler les excès qui résulteraient de leur appel à la désobéissance civile ». Fermez le ban, allez voter comme si de rien n'était, circulez, il n'y a rien à voir et à redire. Une complicité affligeante et déshonorante, faisant fi des 70 morts déjà tombés en Côte d'Ivoire !

Bruno Fanucchi

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