Sidonie Flore Ouwé, Présidente du « Salon de la Femme » : "Au Gabon, comme dans toute l'Afrique, c’est aux femmes de prendre leur destin en main"

Sidonie Flore Ouwé, Présidente du  « Salon de la Femme » :

Sidonie Flore Ouwé Présidente du « Salon de la Femme » Photos : @Benjamin Reverdit


La 1ère édition du Sommet International des Femmes Leaders d’Afrique et d’Ailleurs Inspirantes (SIFLAAI), qui s'est tenue à Libreville du 8 au 16 juillet, s’est achevé sur l’idée de la création d’une fédération féminine panafricaine. Magistrate de profession et organisatrice de cet événement, qui a réuni plus d’une vingtaine de délégations étrangères, Mme Sidonie Flore Ouwé s’explique sur cet ambitieux projet.

Propos recueillis par Clément YAO, envoyé spécial à Libreville (Gabon)

Quel bilan faites-vous de ce premier Sommet international de Libreville ?

Ce bilan est positif. Il est au-delà même de nos attentes. Ce premier sommet a été un coup de maître, si je puis m’exprimer ainsi. De mémoire, le Gabon, mon pays, n’avait jamais organisé une rencontre féminine de cette envergure. Toute modestie mise part, la première édition du SIFLAAI a tenu toutes ses promesses. Outre la présence des femmes gabonaises les plus représentatives, nous avons accueilli plus d’une vingtaine de délégations de femmes venues de toute l’Afrique et du reste du monde.

Quant aux débats sur « Le renouveau pragmatique de l’autonomisation de la femme par exemple », le thème principal de ce sommet, ils ont été d’un très bon niveau, et les échanges ont également été de bonne qualité dans l’ensemble. Nos participantes sont reparties dans leurs pays respectifs plus que satisfaites. Comme vous avez pu l’observer, la presse locale et internationale en ont donné un très large écho. Au terme de cette semaine de réflexions, nous retenons que, nous les femmes, nous devons continuer à apporter de l’amour et de l’humanisme pour lever les obstacles et les hostilités à l’effectivité de notre autonomisation. Chaque fois que nous nous retrouvons, comme cela a été le cas à Libreville du 8 au 16 juillet, nous réfléchissons à des solutions communes pour nous sortir d’affaire car, je crois, nous vivons quasiment les mêmes problèmes à l’échelle du Continent.  

On observe que, dans la plupart des pays africains, des dispositions existent pour favoriser l’autonomisation de la femme, mais que dans la pratique, en revanche, les chosent semblent souvent coincer...

C’est exact, nous sommes conscientes que notre sort dépend en grande partie du politique, et qu’en général les promesses ne sont pas toujours tenues. Il ne suffit plus de dénoncer ce qui ne va pas, mais il nous faut agir. Nous devons être présentes dans les instances de décisions pour y apporter notre brin d’amour et d’humanisme. C’est à ce prix que nous réussirons à faire bouger les choses.

"Nous ne devons plus être spectatrices, mais actrices"  

Vos travaux ont été sanctionnés par d’importantes résolutions et recommandations légitimes. Comment comptez-vous les faire appliquer ?

Je voudrais vous rappeler que le « Salon de la Femme » a à sa tête une juriste particulièrement attachée à la procédure. Naturellement, pour nous les Gabonaises, le plaidoyer se fera par le dépôt de ces résolutions sur la table de Monsieur le Premier ministre, chef du gouvernement, et parallèlement sur le bureau du ministre chargé des Solidarités nationales. Je suis certaine que les autres délégations étrangères feront de même auprès des autorités de leurs pays respectifs. C’est le but de ce premier Sommet International des Femmes Leaders d’Afrique et d’Ailleurs Inspirantes, celui de partager les expériences. Pour ma part, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. En revanche, pour les résolutions qui demandent une implication politique, il est évident que nous aurons besoin de recourir au politique pour leur mise en œuvre. Pour le reste, c’est aux femmes de prendre leurs responsabilités et leur destin en main. Nous ne devons plus être spectatrices, mais plutôt des actrices. C’est pour cela que nous en appelons à une plus grande solidarité entre les femmes.

Vous vous êtes rendues sur le marché de Libreville pour ouvrir des comptes d’épargne au profit des femmes commerçantes. Quel message avez-vous voulu faire passer ?

Je me suis, en effet, fait accompagner au marché du Pk8 de Libreville par les autres Femmes Leaders venues d’ailleurs pour aller témoigner de notre solidarité à nos sœurs et à nos mamans. Nous avons ainsi ouvert une centaine de comptes d’épargne et de comptes courants au bénéfice de ces femmes qui sont, pour la plupart, dans l’informel. Les frais ont été entièrement couverts grâce à l’argent collecté lors de nos travaux. Nous avons posé cet acte de solidarité dans un souci de socialisation de l’autonomisation et de leur entrée dans le processus de normalisation de leurs activités. C’est pour cela qu’il nous paraissait indispensable d’amener les femmes du marché à épargner. Nous ne comptons pas nous arrêter là. Nous allons organiser des campagnes de sensibilisation et de formation sur l’entrepreneuriat féminin pour les aider à créer des entreprises. Vous convenez avec moi que, pour toutes ces initiatives, nous n’avons point besoin du gouvernement.

Une des résolutions de ce premier SIFLAAI est de mettre en place une organisation panafricaine des Femmes Leaders. S’agit-il seulement d’un effet d’annonce ou d’une réelle volonté de fédérer vos initiatives ?

Lors de la rencontre de Lomé, au Togo, en mars dernier, nous avons exprimé la nécessité de créer une véritable chaîne de solidarité africaine féminine pour impulser l’effectivité de l’autonomisation de la femme à l’échelle du Continent. Bien entendu, cette structure (dont la dénomination sera connue sous peu) se donnera les moyens d’atteindre les objectifs fixés en matière de l’autonomisation de la femme africaine. Il ne s’agit pas d’un effet d’annonce, mais plutôt d’une volonté à fédérer et à mutualiser nos initiatives. Cette synergie sera portée sur les fonds baptismaux dans les semaines à venir.

Mais avant tout, en Afrique, notre éducation nous recommande de consulter nos devancières, de porter l’information de l’appel de Libreville auprès de ces Femmes Leaders africaines qui ont fait leur preuve au plan continental et à l’international pour bénéficier de leurs conseils, leurs expériences et expertises avérés.

"Rien ne pourra empêcher notre

détermination à aller aux Nations Unies"

Vous comptez protester devant le siège des Nations Unies, lors de la prochaine journée internationale de la femme, contre la non-application de la résolution 1325 consacrée aux femmes et à l’égalité des sexes ?

Il s’agit d’un cri du cœur. Plus de vingt après l’adoption de cette résolution 1325, force est de constater que la participation des femmes au processus de paix et de sécurité n’est pas à la hauteur des attentes de ces initiateurs. Je dirai que cette résolution est passée presqu’inaperçue dans beaucoup de pays africains.

A Libreville, les femmes ont demandé un déplacement en masse devant le siège des Nations Unies à New York à l’occasion de la prochaine journée internationale de la femme. Ce projet reste cependant à être étudié. Nous ne ferons rien qui soit contraire aux procédures légales.

S’il s’avère que cette voie de recours est admise, nous l’utiliserons. Inversement, s’il faut passer par nos institutions, à l’instar de l’Union Africaine, parce qu’il s’agit d’une recommandation en vigueur, nous suivrons cette voie. Mais il est sûr et certain que rien ne pourra empêcher notre détermination à aller aux Nations Unies. 

Plusieurs rencontres similaires à la vôtre ont lieu sur le Continent. Vu que les préoccupations sont partagées par l’ensemble des femmes du Continent, ne faut-il pas mutualiser vos initiatives pour être plus efficaces ?

Je fais le constat qu’il y a en effet, plusieurs rencontres de femmes qui ont eu lieu et qui s’annoncent encore sur le Continent. Mais malheureusement, elles restent, pour la plupart, sans effet. L’idée de fédérer nos initiatives découle de ces échecs. Elle viendra structurer toutes les préoccupations qui sont au cœur de nos rencontres. A savoir, les questions de nos droits, de l’autonomisation, du climat, l’égalité des sexes et de l’épineuse question de la protection de l’environnement en passant par le toilettage de nos traditions...

Toutes ces questions, qui ne sont pas suffisamment prises en compte par nos différents gouvernements, seront amplifiées par nos différentes organisations représentatives au sein de cette fédération. Par ailleurs, nous avons l’ambition de créer des zones thématiques. Je m’explique : si par exemple en Côte d’Ivoire, la préoccupation des femmes est de faire la promotion des Petites et moyennes entreprises (PMI), la fédération apportera son appui dans ce sens. Si, en Guinée Bissau, les femmes sont préoccupées par la question de l’alphabétisation, la fédération apportera également son appui. Au Gabon, nous savons que c’est la question de l’égalité du genre qui est prédominante. Nous allons donc renforcer la capacité des organisations gabonaises qui s’occupent de cette question faisant partie des 17 Objectifs du développement durable (ODD). Voilà comment nous comptons travailler en synergie. Pour l’heure, nous en sommes encore qu’au stade de la réflexion.

Votre mot de la fin , s'il vous plait...  

Au terme de ce premier Sommet International des Femmes Leaders d’Afrique et d’Ailleurs Inspirantes, nous, femmes africaines, avons exprimé notre volonté de travailler ensemble pour trouver des solutions à nos problèmes. Indiscutablement, la rencontre de Libreville a jeté les bases de notre fédération qui verra le jour, je l’espère, dans les semaines voire les mois à venir. Je peux vous assurer que les femmes sont déterminées à y arriver.

Clément Yao

COMMENTAIRES