Gabon : Sidonie Flore Ouwé, ex-Procureur de la République, défend les droits des femmes

Gabon : Sidonie Flore Ouwé, ex-Procureur de la République, défend les droits des femmes

Photo : @Jacques Naismith


Ex-Procureur de la République, Sidonie Flore Ouwé est présidente du « Salon de la Femme », qui tient cette semaine à Libreville une session de formation. Cette juriste d'exception s'est engagée dans un long combat pour faire reconnaître au Gabon les droits des femmes. Portrait-entretien.

Par Bruno Fanucchi

C'est une forte tête, mais un grand cœur ! Magistrate d'exception, Sidonie Flore Ouwé fut pendant 5 ans Procureur de la République. Affectée en 2004 au Parquet de Libreville, où elle fait ses classes, Mme Ouwé s'est fait sans doute quelques ennemis en gravissant trop rapidement les échelons de la hiérarchie judiciaire jusqu'à être nommée Procureur adjoint de la République dès 2011 puis Procureur près le Tribunal de Libreville, avant d'être chargée de la délinquance économique et financière près le Tribunal spécial créé tout spécialement pour s'attaquer à la « délinquance en col blanc ».

Mais l'ordonnance créant ce Tribunal spécial à compétence nationale - qui allait visiblement déranger trop de monde – fut annulée par la Cour constitutionnelle et celui-ci ne vécut que deux mois. Au Gabon, comme dans certains autres pays d'Afrique, « la lutte contre la corruption » se limite bien souvent à un affichage politique et médiatique qui n'est pas toujours suivi d'effets.

Elle est finalement nommée Première Présidente de la Cour d'appel judiciaire de Libreville et, bien décidée à ne pas s'en laisser compter, confie à qui veut l'entendre : « Moi, j'aime la procédure ». Mais cette « forte tête » ne plait pas à tout le monde et elle est mutée en 2016 directrice générale des Affaires administratives au Ministère de la Justice, avant d'être nommée en 2017 directrice de la Formation continue à l'Ecole Nationale de la Magistrature.

Parallèlement à cette brillante carrière judiciaire, qui ressemble à un parcours sans faute, Sidonie Flore Ouwé s'engage dès 2002 avec sa sœur aînée Clarisse dans le mouvement associatif pour venir en aide aux femmes en détresse et aux enfants maltraités en mettant en place des consultations juridiques gratuites à leur profit. « C'était très prenant mais aussi réconfortant, se souvient-elle, car de petits délinquants m'appelaient 'Maman' pour ne pas aller en prison ».

« J'ai puisé cette passion pour venir en aide aux enfants des rues ou aux jeunes défavorisés dans l'exemple de ma mère Marcelline, qui ne supportait pas de laisser autour d'elle des gens dans le besoin», confie cette catholique fervente, mariée à un expert-comptable qui a ouvert un important cabinet de consultations fiscales à Libreville. Mais il ne suffit pas de réussir dans sa carrière ou les affaires pour donner un sens à sa vie.

"Résoudre des cas concrets pour venir en aide aux plus vulnérables"

En 2010, lors du décès de son père Michel enterré dans son village natal de Ndendé (Provinces du Sud), la magistrate de Libreville va découvrir la réelle misère du Gabon profond. « Que peut-on faire pour ces gens là dont personne ne s'occupe d'améliorer le quotidien ? ». Elle se démène sans compter et va leur faire installer, par exemple, des toilettes publiques en plein air. Mais son action désintéressée est paradoxalement « très mal vue » par les politiques locaux souhaitant que rien ne leur échappe pour continuer d'exister.

D'actions de bienfaisance à l'échelle locale à la création d'associations d'entraide au niveau régional, Sidonie est sur tous les fronts pour apporter une assistance juridique aux gens qui en ont le plus besoin. Elle participe ainsi à la Caravane nationale de la Décennie de la Femme lancée en 2015 par le président Ali Bongo, puis à la création en 2016 d'une Plateforme associative regroupant différentes organisations ayant les mêmes objectifs.

Mais sa grande idée, c'est la création le 14 février 2017 – le jour de la Saint Valentin, la fête des amoureux – du « Salon de la Femme » conçu comme le salon d'une maison où les femmes de tout âge et de toutes conditions vont échanger entre elles et s'entraider pour affronter bien des situations délicates. « Nous n'avons jamais battu le pavé pour revendiquer nos droits, mais nous nous regroupons entre femmes pour faire avancer des idées sur des sujets sensibles, avoue cette Gabonaise qui se veut davantage chrétienne et pragmatique que féministe. Tous les mercredis et samedis après-midi, par exemple, je reçois au Salon une quinzaine de femmes pour résoudre gracieusement des cas concrets et venir en aide aux plus vulnérables ».

Le 10 mars dernier, d'autres associations se sont ainsi rapprochées du « Salon de la Femme » pour lancer des actions communes et concrètes en faveur des droits des femmes. Avec pour ambition de régler en priorité :

1/ La question de la dot pour les mariages coutumiers, officiellement interdite par la loi du 30 mai 1963, mais qui se pratique depuis couramment sans que les autorités ne fassent rien. « Au lieu de laisser se perpétuer une pratique contraire à la loi, explique-t-elle avec bon sens, il faut aujourd'hui autoriser la dot, mais la réglementer et l'encadrer juridiquement ».

2/ Les violences faites aux femmes, qui commencent bien souvent dès la petite enfance. « Elles sont interdites, mais malheureusement ancrées dans la tradition ». Des violences qui se poursuivent au cours de l'adolescence, où bien des jeunes filles sont harcelées par leurs professeurs et victimes de ce que l'on appelle au Gabon les MST ou « Moyennes sexuellement transmissibles ». En termes plus crus, vous réussissez vos examens ou passez dans la classe supérieure si vous cédez aux avances de votre professeur. Il existe également des violences dans les foyers et même « des violences vécues par les veuves » confrontées à des questions successorables à la mort de leur époux.

3/ Les « dépenses intelligentes » pour aider les femmes qui vivent en permanence au-dessus de leurs moyens à mieux gérer leur argent.

4/ L'autonomisation des femmes en les aidant à trouver – surtout en milieu rural – de véritables AGR (Activités génératrices de revenus) qui leur permettent de mieux se prendre en charge.

"Je suis contre la polygamie, même si elle est reconnue dans notre Code civil"

Mais il y a encore bien d'autres problèmes auxquels Sidonie et le Salon de la Femme veulent s'attaquer pour « faire bouger les lignes » et changer si nécessaire la législation en vigueur. Comme la polygamie. « Je suis contre, lâche-t-elle, même si elle est reconnue dans notre Code civil ». Ou l'apatridie, dont sont victimes malgré eux beaucoup de Gabonais dépourvus d'actes de naissance en raison du manque de formation des officiers d'état civil depuis l'indépendance en 1960.

Les « promotions assassines », moins connues que la célèbre « promotion canapé », consistent à « confier des responsabilités à des femmes qui ne sont pas capables de les assumer », ce qui est une manière pour certains responsables de s'entourer de collaboratrices à leur totale dévotion qui ne leur feront pas d'ombre et d'abaisser ainsi le niveau et l'efficacité de bien des administrations.

A l'occasion de la Journée nationale de la femme ce 17 avril, le Salon de la Femme organise du 17 au 20 avril 2018 à l'Oasis des Princes de Libreville une semaine de formation autour de trois thèmes : « Le chemin à parcourir pour entreprendre », « La reconnaissance de paternité et ses effets », « Que doit faire la femme après la mort de son mari (l'ouverture de la succession) ? ». Une session ouverte à toutes les femmes et qui s'achèvera par un grand dîner de gala. Le but du Salon en général comme de ces rencontres « after work » est « d'identifier tous les textes de loi qui mettent en exergue les droits des personnes vulnérables puis de vulgariser les droits de la femme gabonaise pour que les lois en vigueur soient accessibles et compréhensibles par tous ».

Tant il est vrai que – comme dit le vieil adage - « nul n'est censé ignorer la loi ! ».

Bruno Fanucchi

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